Hommage à la mémoire de Serge RECHTER, Président-fondateur de Géostratégies 2000

  SR

Il  y a 10 ans, le 8 Juin 2006, Serge RECHTER, Président-fondateur de Géostratégies 2000 nous quittait.

L' équipe de Géostratégie 2000, ses amis et sa famille lui firent la promesse de continuer son œuvre et il en fut ainsi jusqu'à ce jour. C’est, fidèle à cet engagement, et à la promotion des valeurs qu’il défendait avec notre Club, que l'ensemble du Conseil d'Administration souhaite lui rendre hommage  en ce 10ème anniversaire de sa disparition.

En 1944, l’arrestation et la déportation de son père, Mort pour la France, le marqueront douloureusement tout au long de sa vie.

 « Mais il saura transcender la douleur et dépasser la haine et se forger une seconde conviction : celle qu’il est nécessaire de construire une « France nouvelle dans une Europe unie pour une société solidaire et un monde meilleur » pour reprendre ses propres mots. Telles sont sans doute les clés de ses engagements innombrables, de ses activités multiples et inlassables qui jalonneront toute sa vie » (extrait de l’hommage paru en Janvier 2007 dans la Lettre de Géostratégies 2000, rédigé par Yves Gutman-Lajeunesse, administrateur de Géostratégies 2000 http://www.geo2000.org/wp-content/uploads/2013/10/690.pdf).

Ce fut un infatigable avocat du "devoir de mémoire",  pour témoignage son  discours* prononcé  en 2005  devant les élèves et les Anciens du Lycée Charlemagne.

Patriote, européen impliqué et attentif à cette construction si laborieuse, il fut un homme d’une grande ouverture d’esprit, pleinement engagé dans la vie intellectuelle et citoyenne de son pays. Parallèlement à sa vie professionnelle déjà très dense, il exerça une fonction universitaire au sein de Sciences Po,  et nombre de ses anciens étudiants, dont certains, aujourd'hui membres de notre association, se souviennent encore de la grande rigueur et de l’exigence qui le caractérisaient et peuvent en témoigner...!

Trente années après sa création, Géostratégies 2000  continue à porter sa vision du monde et des hommes, ses convictions, son attachement à la grandeur et la modernité de la France, son rôle en Europe et sa place sur le plan international. La conclusion de cet hommage reprendra l'un de ses derniers messages : "Votre avenir ne le subissez pas ; construisez-le vous-même, pour vous, ensemble" Nous vous invitons à consulter deux de ses éditoriaux, publiés sur notre site ​en 2003 et 2005. "Une planète-Terre sans société-monde" http://www.geo2000.org/wp-content/uploads/2003/10/600.pdf "Ne pas taire les périls, mais en débattre" : http://www.geo2000.org/wp-content/uploads/2005/12/670.pdf  

*discours du 29 Janvier 2005 prononcé au Lycée Charlemagne à Paris .

"Monsieur le Proviseur,  Mes chers amis,

 Nous voilà tous réunis pour notre manifestation annuelle et  traditionnelle.

C’est un moment de convivialité. C’est un moment précieux. Je suis heureux de partager cette célébration de Charlemagne avec vous, toutes et tous. Mais, en ce 29 janvier, il est aussi une autre célébration.

Je ne peux m’empêcher, ici et maintenant, de penser à cette autre célébration. Celle de la libération des camps d’extermination en 1945, il y a 60 ans, tout particulièrement celle d’Auschwitz. Oui, j’y pense parce que nous sommes en plein Marais, au Lycée Charlemagne, dans ce Lycée, dans ce quartier, marqué à jamais par la haine tenace, persévérante et organisée de la barbarie nazie.

Il y a 60 ans …

Je suis entré au Lycée en septembre ou octobre 1945. Ce lycée, au cœur de son  quartier géographique et historique,  qui, traditionnellement,  irriguait chaque année les classes de la rue Charlemagne, avait alors perdu nombre de ses jeunes et de ceux aussi qui auraient pu y entrer plus tard, pourchassés, arrêtés, déportés, exterminés,  parce qu’ils étaient juifs. Certains étaient des enfants de 10 ou 11 ans, mon âge à l’époque.

Oh ! Je savais bien que dans ma classe de 6ème, tel attendait, sans guère d’espoir, mais espérant quand même un peu,  qui sa mère, tel autre son père, tel autre ses deux parents.

Certains d’entre eux – et j’en connais intimement – séchaient les cours pour aller encore et encore, contre toute raison, au Lutétia où débarquaient les survivants, fantômes d’Auschwitz ou d’autres camps libérés plus récemment, et qui, à cette époque de l’année, ne pouvaient être que de plus en plus rares. Ils attendaient scrutant chaque visage ou ce qu’il  restait du visage qu’ils avaient connu, quêtant une information, montrant une photo. Puis, ils en repartaient le cœur lourd du vide de l’absence, chaque jour un peu plus irrémédiable.

Mais il y avait pire. Je n’avais pas bien compris qu’à côté de nous, sur nos bancs, auraient dû s’asseoir d’autres enfants, ceux qui, de la rue des Rosiers, de la rue Pavée, de la rue Saint-Paul, de la rue des Ecouffes et d’autres rues encore, étaient partis, là-bas, en fumée, dans les cheminées des crématoires d’Auschwitz. Je n’étais pas conscient des ombres d’enfants, aux vies  éteintes, qui nous entouraient et dont nous ne verrions jamais les visages, ne connaîtrions jamais les noms, n’entendrions jamais les rires et n’apprécierions jamais les talents et les qualités. Nous n’avons pas vieilli ensemble, ni partagé, par des combats nouveaux, l’espoir d’une autre France, d’une autre Europe, d’un autre monde, d’une autre vie.  Nacht und Nebel...

N’oublions pas que cela fut.

L’oubli ! Bien sûr les événements s’estompent et se dissolvent dans une sorte d’oubli-usure, celui du temps qui passe. Mais prenons garde à l’oubli-rejet et ne laissons dire à quiconque : mes yeux n’ont rien vu ; mes mains n’ont pas versé ce sang. Alors arrêtez d’en parler ! Arrêtez !

Dérisoire excuse. Dérisoire et insupportable. Oui, je vous le dis, c’est de là que procèdent l’oubli-amnésie, puis l’oubli-amnistie, puis l’oubli-négation.

Le devoir de notre Communauté lycéenne est bien sûr la transmission du savoir. Et elle le fait. Mais l’éthique qui, peu à peu, disparaît de nos sociétés éclatées, nous commande aussi de puiser dans notre mémoire pour la transmettre. Cela aussi est notre devoir.  Certes, je ne confonds pas mémorial, monuments aux morts et mémoire vivante. Car c’est dans celle-ci que, tous ensemble, nous devons puiser l’énergie et,  je le répète, l’éthique de dire quel a été le cheminement du malheur des hommes. Nous savons qu’il « est toujours fécond le ventre d’où est sortie la bête immonde », nous le voyons tous les jours, hélas, sur cette planète-terre sans société-monde.

C’est dans notre Histoire, par nos valeurs, que nous pouvons aider nos jeunes à vivre et à bouger une société repliée sur elle-même, rétrécie à ses peurs, peur du lendemain, peur de l’autre, peur de l’étranger, ne cherchant même plus à retrouver des repères perdus.

Comme j’ai peur de la peur, grosse d’autisme social et d’indifférence aux malheurs du monde...!

Aidons les jeunes à vivre et à construire dans une démocratie apaisée, solidaire, ouverte, chez nous et ailleurs.

Si un jeune nous demande : quel est le chemin ? Nous ne pouvons pas nous contenter de lui répondre : tu es le chemin.

Il faut lui dire naturellement qu’il est le chemin, mais que nous allons l’aider à choisir, car il nous revient d’éclairer ce chemin.

Vivons notre vie dans ce lycée, comme des éclaireurs du chemin de nos jeunes, des éclaireurs d’avenir. De leur avenir.

 Merci."

Serge RECHTER, Président des Anciens du Lycée Charlemagne - 29 Janvier 2005