« Brexit : les enjeux perçus du référendum britannique du 23 juin : In or Out ? »

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Le Jeudi 14 avril, Géostratégies 2000 a reçu Michael Likierman, ancien Président-fondateur d’Habitat France, autour d’un petit déjeuner organisé dans les salons du Palais du Luxembourg. Il a apporté son regard de businessman sur l’issue du référendum du 23 juin prochain en Grande-Bretagne. « Brexit ou No Brexit »  telle est la question à laquelle ce Britannique, qui a exercé une grande partie de sa carrière dans notre pays, a tenté de répondre. Il nous a expliqué pourquoi la Grande-Bretagne pourrait être tentée par une sortie de l’Union Européenne. Un choix qu’il juge très hasardeux pour ses compatriotes, mais qui pourrait également, selon lui, fissurer le socle européen.

Je vais essayer de vous expliquer pourquoi la Grande-Bretagne pourrait être tentée par une sortie de l’Union Européenne, lance, un brin ironique, Michael Likierman. Moi-même en 1972, j’ai voté « oui » à l’entrée de mon pays dans la CEE. J’avais étudié à Oxford la philosophie, les sciences politiques et l’économie, et la construction européenne y occupait une place de choix. Après des débuts dans l’industrie manufacturière, en Angleterre, j’ai démarré le groupe « Habitat » en France. J’ai quitté mon pays en partie à cause de ses rigidités structurelles et de ses syndicats arc-boutistes. A cette époque, la France était un peu la « terre promise », portée par les « 30 Glorieuses ». Or, aujourd’hui, observe Michael Likierman, les scénarios sont inversés.

A la tête d’Habitat, j’ai eu la chance de participer à une vraie révolution commerciale. La croissance était au rendez vous ; beaucoup de richesses se créaient. C’était très enthousiasmant, mais j’avais aussi l’impression d’un grand écart permanent entre les deux cultures. J’ai éprouvé le même ressenti, lorsque j’ai développé, plus tard, les filiales anglaises de Grand Optical. Or ce contraste perdure, note Michael Likierman, c’est indéniable.

UN SCRUTIN INCERTAIN

Le Brexit est un risque. Selon les derniers sondages, 43% des personnes interrogées sont favorables au maintien dans l’UE, 41% sont contre et 16% sont indécis. Et l’écart semble s’amenuiser. Mais qui va aller voter? Certainement les plus âgés, très concernés par les considérations sécuritaires et donc favorables au Brexit. En revanche, les jeunes, portés par la « culture Erasmus » sont massivement européens. De plus, pour la première fois, les 16-18 ans peuvent voter. Comment vont-ils se comporter ? Les Irlandais sont de farouches partisans du « oui ». Quant aux Français résidant à Londres, ils restent en dehors du scrutin. Comme dans beaucoup d ‘élections, les indécis feront la différence. Des attentats à Londres ou des incidents avec des migrants seraient un véritable scénario catastrophe, mais il ne faut pas les sous-estimer, certains ont intérêt à la sortie. Poutine lui-même soutient le Brexit, il préfère une Europe plus faible.

Alors qu’une majorité de la classe politique est plutôt pro européenne, on peut se demander comment on en est arrivé là, s’interroge Michael Likierman. En fait, David Cameron est un « joueur ». Ce référendum était un pari, il faisait partie de ses promesses électorales. il a gagné et a été réélu, mais maintenant, il faut payer le prix.

Par ailleurs, les Britanniques ont toujours été tentés par l’autonomie, l’indépendance. Ils veulent contrôler leur propre destin, même s’ils doivent livrer bataille, seuls contre le reste du monde. Ils sont toujours entrés en reculant dans l’Union Européenne, l’idée d’une perte de souveraineté leur est difficile à accepter. Une grande partie de la population éprouve du mépris, de la méfiance vis à vis de la Commission de Bruxelles, jugée corrompue et hors d’atteinte des contrôles. Avec des fonctionnaires trop bien payés, qui passent leur temps à interférer dans la vie des citoyens de manière excessive. Des thèses largement soutenues et étayées par la presse populiste.

Au contraire, les chefs d’entreprise et les financiers sont à 85% attachés à l’Europe, mais leur opinion n’est pas d’un grand secours, car ils sont perçus comme responsables de la crise, remarque Michael Likierman.

DES LIENS EUROPEENS DISTENDUS

De plus, la Grande Bretagne n’est pas un membre fondateur de l’UE, contrairement à la France et à l’Allemagne. De Gaulle et Adenauer devaient mettre un terme à un cycle de trois guerres, qui les avaient très fortement affaiblis. leur leitmotiv était « plus jamais cela ». De ce point de vue là, l’Europe a été un succès. La Grande-Bretagne, quant à elle, n’était pas vraiment concernée par ces enjeux, elle était sortie gagnante de ces conflits.  Son souci était de rester le plus possible à l’écart. Elle n’a pas signé les accords de Schengen et est restée en dehors de la zone euro.

La question de l’émigration est aussi un argument utilisé en faveur du Brexit.

Boris Johnson, le maire de Londres et la personnalité la plus médiatique du royaume, a pris la tête du « oui au Brexit ». Il apporte honorabilité et respectabilité, et en même temps, un certain goût pour l’aventure. Il revendique la nécessité de prendre des risques pour mieux contrôler son destin.

Les passionnés, les bons orateurs sont tous partisans du Brexit. Face à eux, on trouve des partis politiques qui ne font plus rêver, un David Cameron fatigué, miné par le scandale des « Panama Papers », souligne Michael Likierman, qui reconnaît que le pire peut arriver.

Cela entraînerait de nombreux bouleversements, les négociations seraient très longues pour défaire toute la législation européenne. Cela signifierait également un éclatement du Royaume Uni. L’Ecosse, pro Europe, pourrait devenir indépendante. Quant à l’Irlande, du Nord et du Sud, l’incertitude est totale, surtout que les plaies ne sont pas encore totalement cicatrisées. Quant à l’avenir de l’Europe, il serait assez flou puisque la France et l’Allemagne ne sont plus sur la même longueur d’onde économique, soupire Michael Likierman. De plus, des failles comme la Grèce et la question des migrants réapparaîtraient avec plus d’intensité.

Quoiqu’on en dise, la présence de la Grande Bretagne renforce l’édifice européen.

Après cet exposé très intéressant, Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, a animé un débat aux échanges multiples et variés.

Christophe Bouchez (Avocat Cabinet Veil-Jourdes)

François Cantegreil (Président Semia) :

Un « Brexit » induirait-il un renforcement des liens USA /UK ?

La Grande-Bretagne rejoindrait-elle le NAFTA (North American Free Trade Agreement)? Les USA sont-ils toujours fiables?

La Grande Bretagne a toujours rêvé d’un attachement économique plus fort avec les USA. Ces derniers la considèrent comme un allié fidèle, mais n’ont pas intérêt à la voir quitter l’Union Européenne. Ils la persuadent de rester, car ils ont besoin d’une Europe forte.

Par ailleurs, le marché naturel des exportations anglaises est l’Europe. Les USA seront toujours aux côtés de la Grande Bretagne mais je ne vois pas de changement significatif.

Bernard Balle (Groupe Axa) : Quid de l’indépendance de l’Ecosse avec un baril à 40 dollars?

Ce n’est pas une question économique. L’Ecosse ne partage pas la même culture, la même philosophie que l’Angleterre. Elle est très fière de son histoire et se sent plus aventurière. Londres est peu appréciée, car c’est là que se prennent les décisions importantes. Toutefois, il faut relativiser car le nouveau Parlement écossais a vu ses pouvoirs renforcés.

La France a su fédérer ses régions, il y a un véritable pouvoir central qui n’existe pas en Angleterre.

Indépendante, l’Ecosse demanderait à entrer dans l’Union Européenne, c’est certain.

Jacques Taranger (Inspecteur du personnel civil de la Défense) : Quel enjeu pour la grande place financière de Londres ?

Certaines institutions financières commencent à s’implanter à Francfort. Hong Kong et Singapour prennent de plus en plus d’importance. Mais, Londres restera forte. Il est trop tôt pour dire si Francfort profiterait du Brexit. De toute façon, les Britanniques négocieraient fermement  pour garder la libre circulation des capitaux, et cela, tout le monde y a intérêt.

Nicolas Ferrer (Secrétaire Général de la Direction Finance, Stratégie et Juridique d’Axa France): Pour que  le Royaume Uni sorte de l’Union Européenne, faut-il que Westminster confirme le « oui » du référendum?

C’est déjà fait, il y a une loi qui stipule qu’il n’y aura pas de vote au Parlement après les résultats.

En revanche, des négociations s’ouvriront, et peut-être aura-t-on besoin d’un autre référendum à l’issue de celles ci.

S’il y a Brexit, c’est le début d’une nouvelle ère.

François-Xavier Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines. Secrétaire Général, Trésorier de Géostratégies 2000) : Dans les deux cas, l’Europe ne sortirait-elle pas gagnante?

Si la Grande Bretagne reste, ce sera un soulagement.  Sinon, cela pourrait être une débâcle.

J’aimerais une solution « win-win » pour tout le monde.

Le Brexit pourrait être un premier pas vers une Europe fédérale, mais constituée uniquement de cinq à six pays. Cela signifierait un grand nombre de pays laissés sur le bord de la route.

Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : En cas de Brexit,  Calais n’aurait plus de raison d’être ?

La Grande Bretagne étant une île, les problèmes se déplaceraient sur la Manche, comme actuellement  entre la Grèce et la Turquie.

Je ne vois pas comment Calais pourrait cesser d’exister.

Raymond Douyère : Mais, il n’y aurait plus de raison pour la police française de stopper les migrants.

François-Xavier Martin : Cela ne réglerait rien, car à Calais, c’est un accord entre la France et la Grande-Bretagne, et non pas entre l’Union Européenne et la Grande-Bretagne, qui régit les relations.

Jean-Louis Vichot (Délégué Général de l’UDESCA. Président de l’ADOSM) : Les Britanniques sont-ils toujours assurés du soutien indéfectibles des USA, alors qu’aujourd’hui le premier allié des Américains est le Japon?

La menace russe n’est-elle pas la seule qui puisse ressouder l’Europe?

En matière de défense, l’intensité des liens entre la Grande-Bretagne et les USA ne changera pas. L’isolationnisme américain a eu des conséquences catastrophiques, mais cela va changer (sauf si Trump est élu). Les Américains se rendent compte que s’ils n’interviennent pas plus, la Russie reprend le pouvoir et cette évolution, ils la rejettent totalement.

Raymond Douyère : Quel sentiment domine en Grande-Bretagne face à la situation au Moyen Orient?

Une grande incompréhension. L’instabilité règne partout, excepté en Israël. C’est un problème qui dépasse la Grande Bretagne, et l’Union Européenne dans son ensemble. Tout comme la question des migrants. Est-ce bien raisonnable de payer une fortune à la Turquie pour qu’elle garde les réfugiés? Ce n’est pas une solution pérenne.

Jean-Louis Pierrel (Relations Universitaires IBM France. Secrétaire Général adjoint Géostratégies 2000) : Dans ce débat autour du Brexit, comment expliquer que ceux qui créent de la valeur n’arrivent pas à se faire entendre?

Le secteur de la finance représente moins du tiers de la richesse nationale et ses représentants n’ont pas les arguments pertinents pour convaincre.

Les voix en faveur du Brexit disent qu’il faut aller chercher des solutions en dehors de la vieille Europe, en Chine, en Afrique, chez les BRICS.

Philippe Marchat (Créateur et chef de la mission interministérielle de la préparation des administrations publiques à l’euro, Inspecteur (H) des finances: Le Brexit va-t-il affaiblir la position de la Grande Bretagne sur la scène internationale?

En tout cas, c’est l’idée inverse qui prédomine. Les « pro Brexit » affirment qu’ils ne seront plus fondus dans l’Union Européenne, qu’ils vont créer de nouveaux liens et retrouver une place de premier ordre dans le monde.

Antony Benton (KPMG - Cambridge Society of Paris) : La Grande-Bretagne, telle que nous la connaissons, survivra-t-elle au Brexit?

J’ai bien peur que non. Le Brexit signifie la fin du Royaume Uni, il y aura des dommages collatéraux comme l’indépendance de l’Ecosse.

Margitta Wuelker-Mirbach (Représentante de l’Allemagne auprès de l’OCDE) : Si le Brexit est assez peu commenté en France et en Allemagne, il n’en va pas de même en Grande Bretagne.

L’idée la plus répandue étant que si les Britanniques sortent de l’UE, ils auront encore des avantages économiques mais ne subiront plus les inconvénients.

Qu’en pensez-vous?

Les Britanniques sont persuadés que l’adhésion à l’Union Européenne leur coûte une fortune. Ce qui est une idée fausse, car avec les aides régionales à l’industrie, le pays est net gagnant.

Il y a une incompréhension. De même, lorsque Boris Johnson déclare qu’après le Brexit, la Grande Bretagne sera en position de force pour renégocier. Cela ne sera pas aussi simple, l’Europe punira les Anglais, elle leur enlèvera des avantages et leur donnera un nouveau statut, comme avec les Suisses. On ne sait pas quel sort sera réservé aux Anglais travaillant dans l’Union Européenne.

François Cantegreil (Président de SEMIA) : Mes amis disent qu’il y a trop de méfiance entre businessmen anglais et français. Quelle est votre opinion?

Lorsque l’on ne maîtrise pas la langue de l’autre, l’incompréhension et la méfiance peuvent s’installer. Mais, cela va disparaître avec la nouvelle génération, baignée dans la culture Erasmus. Personnellement, je trouve très facile de faire des affaires avec les Anglais et les Allemands. En revanche, avec les Néerlandais, c’est beaucoup plus rude.

Raymond Douyère : L’image de David Cameron a-t-elle pâti de ses démêlés dans l’affaire des « Panama Papers »?

Je pense que oui. La mentalité des Anglais a changé à ce sujet. Ils reconnaissent qu’il faut arrêter l ‘évasion fiscale, que c’est un bon moyen pour réduire les déficits budgétaires et renforcer les comptes. Pendant longtemps, il y a eu une certaine pudeur sur l’argent, une conspiration du silence. Mais désormais, beaucoup s’accordent sur le fait que l’optimisation fiscale n’est plus acceptable et que tout le monde doit payer des impôts. Toutefois, la perception n’est pas la même qu’en France. Dans votre pays, des révélations comme celles des « Panama Papers » sont vues comme des   « victoires révolutionnaires » et c’est d’ailleurs une partie du caractère français que j’admire le moins…

Cameron va être entaché, au moins temporairement, alors qu’il n’a pas de véritable responsabilité dans cette affaire. C’est l’une des conséquences de la mondialisation, la sécurité l’a emporté sur la liberté. Cela vaut aussi pour les transactions financières.

Raymond Douyère : La grande tolérance envers le communautarisme est-elle encore d’actualité?

La peur de l’autre, des attentats, de couleurs de peau différentes se développe. Toutefois, il y a moins de musulmans qu’en France et ils sont beaucoup mieux intégrés.

Phénomène nouveau, l’opinion publique ne supporte plus ceux qui incitent à la haine raciale et la liberté d’expression a cessé d’être intouchable.

Marie-Clotilde Hingray

Propos non revus par les  intervenants