« Désarmement et sécurité dans le Monde » avec Paul QUILES, ancien Ministre de la Défense

« DESARMEMENT ET SECURITE DANS LE MONDE »

Avec PAUL QUILES

ANCIEN MINISTRE DE LA DEFENSE

    Le mercredi 29 janvier 2014, Géostratégies 2000 a organisé dans les salons du Palais du Luxembourg, un petit-déjeuner autour de Paul Quilès, ancien Ministre de la Défense de François Mitterrand (Septembre 1985/Mars 1986), venu nous convaincre de la réalité des multiples dangers de l’arme nucléaire. Un sujet sensible, au cœur de son dernier ouvrage « Arrêtez la bombe !», paru en 2013. Après avoir brossé un panorama historique détaillé, il s’est posé en défenseur crédible de l’arrêt de la dissuasion nucléaire. Un angle peu habituel, mais qui a permis d’aborder la question de manière contradictoire.     Mes premiers contacts avec l’arme nucléaire ont été quelque peu irréels. Jeune polytechnicien, c’est moi qui ai passé, en 1964, l’ordre de transmission de sa mise en œuvre, avec au bout du fil, le Général de Gaulle en personne, raconte sur le ton de l’anecdote Paul Quilès. Mais c’est seulement vingt ans plus tard, en devenant Ministre de la Défense, en 1985, que j’ai appris à comprendre le système décisionnel. Le contexte était compliqué, Charles Hernu avait dû démissionner après le scandale du Rainbow Warrior, mais je me suis vite rendu compte du fonctionnement monarchique de cette institution, où tout remonte au Président de la République. Malheureusement, cette expérience fut très courte, puisque six mois plus tard, le Parti Socialiste perdait les élections. En décembre 1995, après la reprise des essais nucléaires décidée par le Président Chirac, un débat, assez violent, a eu lieu à l’Assemblée Nationale.  Je me suis alors clairement prononcé pour un monde débarrassé des armes nucléaires, souligne Paul Quilès qui devient en 1997 Président de la Commission de la Défense au Palais Bourbon., et s’engage, dès lors, à porter une parole « pacifiste ». Un mot teinté parfois d’une connotation négative, qui s’explique par la confusion sur les objectifs des mouvements pacifistes des années 50-70, avec notamment, l’Appel de Stockholm, qui passait sous silence la course aux armements soviétiques, mais critiquait fortement celle des Américains.   UN DELIRE CONCEPTUEL   Le désarmement et la sécurité sont-ils des concepts contradictoires, s’interroge Paul Quilès. Il est normal que tout Etat ait le souci de se protéger, avec des moyens matériels, ou avec la négociation pour empêcher une guerre. Mais, l’arme nucléaire est-elle indispensable ? Il existe un consensus français autour de cette bombe, décrite comme notre assurance vie et notre garantie d’indépendance. Autre argument de taille, elle a mis fin à la seconde guerre mondiale. Or, conteste Paul Quilès, rien n’est plus faux. L’empereur Hirohito était prêt à capituler, depuis les bombardements de Tokyo, qui avaient fait des dégâts irrémédiables. Au Japon, Hiroshima et Nagasaki n’ont pas été considérés comme plus graves. Alors que cette arme n’est plus adaptée à notre époque, surtout depuis la fin de la Guerre Froide, le débat sur la dissuasion reste tabou, regrette Paul Quilès. Désarmement ne rime pas encore avec sécurité, et les références historiques ne plaident pas en faveur d’une telle évolution. Le Mouvement Socialiste International n’a pas réussi à s’opposer aux enchaînements qui ont provoqué le conflit de 39-45. Et pourtant, Jean Jaurès, assassiné pour ses idées pacifistes en juillet 1914, était un véritable patriote, auteur de l’ »Armée nouvelle ». Un livre où il démontrait comment on pouvait défendre son pays, tout en œuvrant en faveur des arbitrages internationaux. C’est un scénario radicalement différent qui s’impose dès 1945, une véritable « course à la folie », dénonce Paul Quilès. Après leur premier essai nucléaire au Nouveau-Mexique, les Américains veulent vérifier dans les faits l’effet effrayant de cette bombe, ce sera Hiroshima et Nagasaki. En 1949, les premiers essais de l’URSS ont lieu, avec très vite, une bombe de 50 mégatonnes, soit 23 fois le total des bombes lâchées sur l’Allemagne, entre 1942 et 45. En 1952, la Grande-Bretagne se dote de l’arme nucléaire, puis la France en 1960 et la Chine en 1964... Les armes doivent être toujours plus nombreuses, plus sophistiquées, avec une portée de plus en plus grande. C’est la destruction mutuelle assurée, un délire. Pour soutenir cette stratégie, les doctrines se succèdent. Ce serait une arme de non emploi, créée pour effrayer. Arrive ensuite la doctrine de dissuasion, avec ses ambiguïtés et ses contradictions. Elle sera tour à tour minimale, flexible, concertée, étendue, avant d’aboutir à la riposte graduée. En 1986, revirement. Le Président Reagan déclare qu’il va libérer le monde des armes nucléaires. Pour protéger les Etats-Unis, il veut déployer un bouclier anti missiles, des centaines de satellites dans l’espace. Mais, très vite, ce projet est abandonné, à cause des coûts exorbitants (plus de 1000 milliards de dollars) et des difficultés, voire de l’infaisabilité de sa mise en œuvre. Et pourtant, s’insurge Paul Quilès, une nouvelle proposition de bouclier anti missiles vient d’être lancée par l’OTAN. La dangereuse influence du complexe militaro-industriel joue un rôle clé. Il y a une grande manipulation pour obtenir toujours plus de contrats.   UNE CERTAINE PRISE DE CONSCIENCE   La France devrait axer sa politique autour du Traité de Non Prolifération (qu’elle a ratifié en 1992), plutôt que de tout miser sur la dissuasion. Ce traité qui a pour but de bloquer les risques de dissémination aux cinq premiers pays détenteurs de l’arme nucléaire, vise aussi le désarmement total. Or, actuellement, on dénombre environ 20 000 ogives dans le monde. Et à cause de l’impréparation de nombreux dirigeants, de possibles erreurs de manipulation, on est souvent passé à deux doigts de la catastrophe. En 1983, les Soviétiques ont, pendant un court moment, cru  qu’un exercice de commandement de l’OTAN était en fait une attaque réelle. Une autre fois, un général de l’ex URSS a pris un coucher de soleil pour un lancement de missiles. Heureusement, il s’est rendu compte assez vite qu’il avait été victime d’un leurre infra rouge. Mais tout ceci est passé sous silence, critique Paul Quilès. Toutefois, le scénario de l’ « hiver nucléaire » a effrayé les décideurs. En effet, il a été prouvé que si l’Inde et le Pakistan faisaient exploser leurs bombes nucléaires, suite à un conflit, cela pourrait provoquer une destruction de l’environnement, de toute la végétation et des températures inférieures à 10° pendant six mois. La fin de la course aux armements a commencé au début des années 1990. On a assisté à un gel des stocks nucléaires des pays issus de l’ex URSS. L’Afrique du Sud a détruit ce qu’elle possédait et des discussions bilatérales ont démarré entre la Russie et les Etats-Unis, qui ont réduit le nombre de leurs ogives. La France, pour sa part, en a 300 (contre 580 au milieu des années 80). En 2009, dans son discours de Prague, le Président Obama a évoqué un monde sans nucléaire et en 2010, le Traité New Start a été signé. Les deux grandes puissances acceptent de réduire à 1550 le nombre de leurs ogives, soit une réduction de 30%. Toutefois, il semblerait qu’elles continuent à moderniser et investir dans leur armement nucléaire existant, nuance Paul Quilès qui ne cache pas sa préférence envers les zones exemptes d’armes nucléaires dans le monde. Il en existe déjà six et en 2012, une Conférence internationale devait s’ouvrir pour en créer une nouvelle au Moyen Orient. Toutefois, en raison du trop grand climat d’instabilité, elle a été repoussée. Le désarmement est indispensable, conclut Paul Quilès. Bien sûr, pour être efficace, il doit être général, complet et encadré par l’ONU et le Conseil de Sécurité. Les Etats doivent être soumis à des procédures contraignantes, sans préavis de contrôle. Le lien entre la possession de l’arme nucléaire et le statut de grande puissance ne serait plus aussi direct .Par conséquent, certains pays seraient moins incités à s’en équiper.   L’intervention de Paul Quilès a été suivie d’un débat, animé comme à l’accoutumée par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, et qui a donné lieu à des échanges passionnés.   Thierry Leroy (Conseiller d’Etat) : Je suis d’accord avec vous pour dénoncer le tabou du débat sur l’arme nucléaire. Mais, sur le plan symbolique, cela ne créerait-il pas un vide ? Notamment pour tout ce qui concerne l’image de la France dans le monde ?   Cette peur est liée à un reste de « gaullisme ». Il y a aussi l’inquiétude que les USA laissent tomber l’Europe, qu’elle doive se défendre seule. Mais le monde s’est transformé. Il n’y a plus d’affrontement entre blocs. Qui cherche-t-on à dissuader désormais ? Il n’y a même plus l’Iran depuis que les négociations ont  pris une tournure positive. Mais, il y a toujours cette idée que l’on doit être prêt à toute éventualité. La place de la France dans le monde ne serait pas affectée. La présence sur l’échiquier international passe aussi par un poids économique, un discours fort sur l’environnement….   César Platt (Professeur de sciences économiques. Lycée Claude Monet Paris) : Est-il possible de développer en France comme ailleurs, le nucléaire civil, sans risquer de voir le nucléaire militaire se développer également ?   Cela illustre parfaitement le problème que nous avons avec l’Iran. Si on ajoute au nucléaire civil certaines centrifugeuses qui permettent l’enrichissement, on obtient du nucléaire militaire. En soi, il n’y a pas de lien, mais les faits prouvent le contraire.       Est-ce une arme d’emploi ou de non emploi ?   La théorie de l’emploi est nécessaire pour que la doctrine soit crédible. D’ailleurs, nous avons développé un armement tactique, qui a équipé nos avions (dès 1964), nos sous-marins (avec une portée de 4000 kms, avec prévision à 8000 kms). Et aussi l’armée de terre avec le Pluton et Hadès. Mais, celui-ci ne tirait pas assez loin. En territoire « ennemi », seule l’Allemagne de l’Est pouvait être touchée. Donc, cela a été arrêté, la stratégie a été jugée inappropriée.   François-Xavier Martin (Président d’honneur de Crédit X Mines, Secrétaire Général, Trésorier de Géostratégies 2000) : Sans la dissuasion nucléaire américaine, Staline aurait-il envahi l’Europe Occidentale après 1945 ?   Je ne le pense pas. L’Europe n’était pas sa priorité. De plus, lorsqu’il est mort en 1953, l’armement nucléaire n’en était encore qu’à ses débuts.   Général Pierre Warmé (Conférencier) : Vous confondez dissuasion et représailles. Dissuader, c’est empêcher de réaliser une menace.   Avec l’armement nucléaire, l’adversaire potentiel est exposé à des dommages considérables. Actuellement, l’OTAN dispose de 180 bombes nucléaires tactiques, déployées dans cinq pays, dont la Turquie. Cela coûte très cher. Les Russes semblent prêts à retirer leurs bombes, une fois que l’OTAN aura enclenché le processus. C’est une opportunité à saisir, les négociations vers le désarmement passent par des gestes symboliques.   Les négociations enclenchées avec la Syrie, après les bombardements chimiques, prouvent qu’un désarmement chimique est possible. C’est une belle avancée, si l’on pense qu’une intervention militaire avait failli aboutir pendant l’été 2013. La catastrophe a été évitée de justesse.   Il y a une manipulation de l’opinion publique française pour accepter cette thèse de consensus national autour de la dissuasion nucléaire. Les enquêtes d’opinion, sur ce sujet, ont une validité douteuse, puisqu’il n’y a ni information préalable, ni débat contradictoire.   Marie-Clotilde Hingray Propos non revus par les intervenants