« Le couple Franco-Allemand : quel avenir pour l’Europe ? » avec SE Susanne Wasum-Rainer, Ambassadeur d’Allemagne en France

Le mercredi 2 avril 2014, dans les salons du Palais du Luxembourg, Géostratégies 2000 a reçu Son Excellence Suzanne Wasum-Reiner, Ambassadeur d’Allemagne en France. Cette Européenne convaincue, qui affiche une foi inébranlable dans la solidité du couple franco-allemand, reconnaît, néanmoins, la nécessité de redonner un nouveau souffle à une Europe fragilisée, de la rendre plus attractive auprès d’une opinion publique désabusée. Une lourde responsabilité qui incombe avant tout à la France et à l’Allemagne, moteur historique et incontournable de l’intégration européenne.   Le couple franco-allemand est plongé dans une diplomatie de crise, avec l’annexion de la Crimée à la Russie. Ce rattachement un peu particulier a surpris l’Occident.  Nous nous efforçons d’y répondre ensemble, en réaffirmant nos valeurs, comme le respect de l’intégrité territoriale des Etats. Cette agression est une violation du droit international public, de la Charte de l’ONU, de la Constitution de l’Ukraine, assène avec fermeté Son Excellence Susanne Wasum-Reiner. Toutefois, nous privilégions la concertation. La Russie doit être contrée, mais sans escalade militaire. Cet équilibre est délicat, et repousse dans l’ombre d’autres questions de premier plan, comme la Syrie et l’Iran. Néanmoins, ces tensions ont renforcé les liens au sein de l’Union Européenne.   DESAMORCER LES CRITIQUES   La France et l’Allemagne ont travaillé main dans la main, comme elles l’avaient déjà fait pour tenter de résoudre la crise économique et financière. D’ailleurs, se réjouit-elle, les bases de l’Union Bancaire viennent d’être scellées. Malheureusement, cela ne va pas influer sur le résultat des élections au Parlement européen. Les populations, de plus en plus méfiantes, risquent de voter pour des députés très critiques. Les Ministres des Affaires étrangères ont programmé des apparitions communes, en France et en Allemagne, pour faire campagne et attirer l’attention sur le bilan globalement positif de l’intégration européenne. En effet, cela a permis soixante ans de paix et de liberté : l’ouverture des frontières, la libre circulation des personnes, une démocratie organisée autour du Parlement européen et de Parlements nationaux puissants. Sur le plan économique, l’Union Européenne possède le plus grand marché intérieur et l’euro s’est imposé comme la troisième monnaie de réserve. Enfin, insiste Son Excellence Suzanne Wasum-Reiner, l’Europe peut être fière de son modèle social, de ses valeurs fondamentales communes qui font sa marque de fabrique. Elle n’accepte aucun compromis pour tout ce qui  touche aux droits de l’homme, à l’indépendance de la justice et à la lutte contre l’arbitraire. Elle représente une promesse d’espoir pour les manifestants de la place Maïden à Kiev, mais aussi pour les milliers de réfugiés d’Afrique. L’Union Européenne est un « must » et pourtant, certains rouages se sont grippés. La confiance et l’approbation ont souffert, à cause de taux de chômage inacceptables, d’une immigration mal contrôlée et d’abus au sein de certains systèmes sociaux.   POURSUIVRE LES REFORMES   Nos efforts doivent aboutir à une Europe différente et meilleure. Cela se fera au prix de réformes douloureuses, certes, mais indispensables. Il faut à la fois renforcer la dimension sociale de l’Union Européenne, et améliorer sa compétitivité, lutter contre des marchés du travail encore trop cloisonnés. Cela va de pair. En 2005, l’Allemagne comptait plus de cinq millions de chômeurs. Avec la mise en œuvre des réformes Schröder, ce nombre est passé sous la barre des deux millions. Mais, il faut du temps, et l’Europe doit absolument soutenir les Etats membres qui s’engagent en faveur d’une croissance durable. Elle doit aussi veiller à une meilleure utilisation des investissements européens, des fonds structurels. Les négociations commerciales en cours, notamment avec les Etats-Unis, devraient donner un coup de fouet à nos échanges. L’Europe constitue notre destin commun, martèle Son Excellence Suzanne Wasum-Reiner. Aucun état ne peut faire face seul aux défis de demain. La France et l’Allemagne doivent agir comme deux sœurs jumelles, saisir les opportunités pour une nouvelle dynamique. Nous approuvons le Pacte de responsabilité français et observons avec intérêt sa mise en œuvre. Nous discutons également d’une éventuelle intervention de la brigade franco-allemande au Mali. Nous affichons une réelle convergence sur le plan économique, social, financier et commercial, sur les questions de sécurité et les enjeux climatiques. La confiance et l’amitié qui nous lient sont sans égal, et ce, malgré nos différences. Ce sont les compromis franco-allemands qui font avancer l’Europe, conclut, optimiste, Madame l’Ambassadeur.   Comme à l’accoutumée, a succédé à l’intervention de notre invitée,  un débat passionnant et riche en échanges avec son Excellence Susanne Wasum-Reiner.   François Cantegreil (Président Semia) : Quelles actions concrètes pensez-vous utiles et possibles pour que les jeunes adhèrent davantage à l’Europe ? Pierre Lepetit (Consultant) : Quid des écoles franco-allemandes ?   C’est une tâche primordiale que de gagner l’adhésion des jeunes. Ma génération a éprouvé beaucoup de passion pour l’Europe, car l’idée de réconciliation était encore très forte. Désormais, la coopération franco-allemande souffre d’une certaine banalisation. Il faut réussir à fasciner les jeunes, à les attirer vers le projet européen. L’apprentissage de nos deux langues est essentiel.   Dimitri Tellier (Professeur Lycée Condorcet – Montreuil) : L’avenir de l’Europe ne peut-il reposer que sur un concept historiquement daté, à savoir celui de croissance ?   La croissance est vitale. La relance économique européenne est au cœur de tous nos efforts. L’Europe doit être compétitive au niveau mondial, sa réindustrialisation est capitale. Elle ne peut baser son développement uniquement sur les services.   Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : L’Europe doit-elle viser une croissance différente ?  Ce sentiment existe-t-il en Allemagne ?   L’Allemagne a fait le pari de la transition énergétique. C’est un défi énorme, qui pose d’énormes problèmes au monde industriel, mais c’est une priorité, car la dimension écologique est très forte dans notre pays. Cela pourrait servir de base pour une future politique énergétique européenne.   Raymond Douyère : Et le gaz russe ? Les sanctions n’ont-elles pas été freinées, en raison d’une trop forte dépendance de l’Allemagne et de certains autres pays, vis-à-vis des importations de gaz russe ?   Jean-Pierre Duport  (Ancien Préfet de la Région Ile de France) : N’était-il pas quelque peu provocateur de poser la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN ? Quid des sanctions ? Les seules qui semblent efficaces viennent des marchés financiers.   Pour l’Allemagne, cette adhésion à l’OTAN est hors de question. Concernant les sanctions, il n’y a pas encore eu de véritables décisions économiques et financières. Toutefois, 70 à 80 milliards de dollars ont déjà quitté la Russie, ce qui pourrait causer des problèmes à moyen terme.   Christophe le Cornec (Analyste financier) : Est-il encore possible de créer une Europe forte, malgré la présence en son sein de nombreux pays fragilisés ?   Il faut d’abord stabiliser les Etats en crise, mais nous sommes sur la bonne voie. L’Irlande va mieux. Pour l’Espagne et le Portugal, c’est très encourageant. La prochaine étape doit être la réalisation d’une Union budgétaire et financière, c’est indispensable, lorsque l’on a une monnaie commune.   N’y a-t-il pas une certaine volonté allemande de freiner l’Union bancaire ?   L’Allemagne veut avant tout un système efficace. Il y a actuellement, au sein de l’Union Européenne, 6000 institutions bancaires, toutes différentes et hétéroclites. Nous voulons créer un système de surveillance, qui remplisse pleinement son rôle. Nous voulons des institutions bancaires qui aient un impact réel sur la sécurité financière. C’est un préalable pour nous. Installer une nouvelle institution, aux côtés de la BCE, cela n’a rien à voir avec un frein.   Francis Babé  (Directeur des Etudes – Association régionale des Auditeurs IHEDN) : Dans son dernier livre, le journaliste Jean-Michel Quatrepoint évoque la reconstitution économique et culturelle du « Saint Empire Romain Germanique » par l’Allemagne. Quelle est votre opinion ?   Cette volonté d’hégémonie est totalement étrangère à l’Allemagne. Ce que vise notre pays, c’est une coopération étroite avec la France. Nous sommes un Etat démocratique, avec de profondes convictions européennes.   Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : La croissance européenne a besoin de relance. Toutefois, l’Allemagne veut d’abord une régularisation financière. Elle entend imposer cette volonté d’assainissement budgétaire.   L’assainissement budgétaire et la croissance sont complémentaires. Le problème de base tient en un postulat : nous ne sommes plus compétitifs, car trop endettés (plus de 95% en France du PIB). Il est impossible de continuer comme cela. Si l’endettement se creuse encore, les Etats vont perdre leur souveraineté. C’est un chemin très dangereux.   Edward Bryant  (Conférencier – Ex DRH Price Waterhouse Coopers) : Est-il encore possible de faire cohabiter les Pays du Nord et du Sud en Europe ?   Cela a toujours été ainsi. Chaque Etat membre doit créer les conditions pour sa propre prospérité.   Luc Debieuvre (Partner Global Private Equity) : La politique étrangère de l’Allemagne au Moyen-Orient ne devrait-elle pas être plus ferme dans sa condamnation de la colonisation illégale des territoires occupés par la force ?   Nous parlons tous d’une seule voix en Europe. Nous condamnons la colonisation par Israël des territoires palestiniens. Certes, l’Allemagne se sent responsable et solidaire vis-à-vis d’Israël. Madame Merkel a affirmé que la sécurité d’Israël était une raison d’Etat. Mais, dans le même temps, elle condamne la colonisation, car c’est un obstacle à la création d’un futur Etat palestinien.   Jean-Louis Pierrel (Relations universitaires IBM France. Secrétaire Général Adjoint de Géostratégies 2000) : Pourquoi l’Allemagne est-elle si mesurée dans son soutien aux actions militaires en Libye, au Mali, au Centrafrique ? Comment construire une véritable Politique extérieure et de sécurité commune ?   La question de l’Europe de la défense est très complexe. L’Allemagne est toujours très réticente, face à des opérations militaires étrangères. D’ailleurs, sa constitution interdit l’envoi de soldats dans un contexte bilatéral. Au Mali, l’intervention française était nécessaire, l’Allemagne soutient cette opération avec des moyens logistiques et médicaux. La France a répondu à une demande d’aide, elle compte plus de 6000 ressortissants dans ce pays. C’est une tradition française de coopération et d’intervention en Afrique. Nous comprenons vos critiques, mais en même temps, nous nous réjouissons qu’il n’y ait pas eu d’opération militaire en Syrie. Il s’agit là d’une guerre civile, où l’opposition est loin d’être homogène. En Libye, la situation a empiré. L’Etat est en faillite. On peut même dire qu’il n’y a plus du tout d’Etat. Ce sont des tribus qui tirent les manettes. Vu la situation, j’ai du mal à croire que l’intervention militaire ait été un succès.   Régis Paranque  (Inspecteur Général des Finances (H)): Ne serait-il pas légitime de sortir le budget militaire français (au moins en partie) de l’objectif de réduction du déficit du PIB ? La France supportant seule l’essentiel de l’effort de défense en Afrique.   La réduction du déficit budgétaire n’est pas une obsession allemande. C’est une décision de la Commission européenne. Par ailleurs, les deux budgets de la défense français et allemands sont à peu près similaires. Ce qui fait la différence, c’est la part de votre budget alloué au nucléaire.   Paul Rechter (Directeur Executif Publicis France – Vice Président Géostratégies 2000) : Les partis ultra nationalistes et xénophobes pourraient-ils devenir, comme en France, la troisième force politique, en Europe ? Qu’en est-il en Allemagne ?   C’est un sujet inquiétant, qui concerne toute l’Europe. La Commission européenne ne doit pas être le bouc émissaire, concentrer toutes les frustrations des peuples. Il faut des campagnes pro-européennes, un Parlement européen doté de compétences de plus en plus larges. En Allemagne aussi, il y a un Parti extrémiste, en lutte contre la politique européenne et l’euro. Il sera, je le pense, en mesure d’envoyer des députés au Parlement européen. Il est de toute manière impossible d’interdire un ou plusieurs partis.   George Grosz (Consultant – Associé Corporate Development International – Président d’honneur des Anciens de LSE en France) : Est-ce que l’Allemagne, à l’instar des libéraux, soutient Juncker pour la Présidence de la Commission ou Barnier ?   Nous devons attendre le résultat des élections pour étudier les nouvelles compositions. Pourquoi pas des coalitions transnationales, nous avons déjà des partis transnationaux, c’est une bonne évolution. Cependant, une grande coalition au Parlement européen, ne me paraît pas la solution idéale. En Allemagne, au niveau national, c’était nécessaire, mais désormais, nous n’avons plus d’opposition au Bundestag.   Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Que pensez- vous du SMIC allemand, salué en France comme une avancée ?   C’est un sujet difficile. Avant les élections, Mme Merkel avait décidé d’instaurer ce salaire minimum. Il est basé sur une loi fédérale, ce qui constitue une grosse différence par rapport au système du droit du travail allemand. D’habitude, les salaires sont fixés après négociations avec les syndicats, qui sont d’ailleurs assez réticents, car cela réduit leur pouvoir et leur influence. Cela va avoir un impact négatif sur les branches tournées vers l’exportation, car elles seront moins compétitives. Il fallait prendre des mesures, car il y avait des abus, notamment dans le secteur agro-alimentaire. Mais, ces problèmes avaient été réglés par les conventions collectives. Vu certaines difficultés d’application, il pourrait y avoir certaines dérogations concernant ce nouveau SMIC. C’est un geste fort, une avancée, peut-être, mais je n’en suis pas sûre.   Pierre-Louis Cavoleau  (Analyste Industriel et Géopolitique) : Que pensez-vous des référendums en Ecosse et en Catalogne sur une éventuelle indépendance ?   S’ils gagnent leur indépendance, deviennent-ils automatiquement membres de l’Union Européenne ? C’est la question qui se pose.   Thierry Leroy (Conseiller d’Etat) : Votre opinion sur Arte ?   C’est une grande réussite, même si certains esprits critiques jugent cette chaîne franco-allemande trop intellectuelle. J’en suis très fière.   Marie-Clotilde Hingray Propos non revus par les intervenants