« L’école entre crise d’autorité et crise culturelle : quelles solutions ? »

Le mardi 20 mars, Géostratégies 2000 a organisé dans les Salons du Palais du Luxembourg, un petit déjeuner autour de Barbara Lefebvre, une des figures des débats sur l’école, qui vient de publier : Génération " j’ai le droit" (Éditions Albin Michel), un ouvrage qui résume un constat largement partagé : la faillite de notre éducation. Cette enseignante, qui connait parfaitement le terrain, a témoigné de son expérience et a apporté un éclairage pertinent sur les raisons de ce gâchis Elle a dénoncé les utopies qui remettent en cause l’autorité et la mission culturelle de l’école et a également alerté sur les enjeux qui dépassent la sphère strictement scolaire, comme le mépris des valeurs humanistes. Avant d’appeler à un sursaut radical, autour de quelques propositions phares.

Le dernier rapport PISA, publié par l’OCDE, sur le niveau scolaire des élèves de 15 ans dans 71 pays, place la France en 27ème position en sciences, avec 495 points, juste un peu au-dessus de la moyenne de l’OCDE, déplore, d’entrée de jeu, Barbara Lefebvre. Mais, ce qui est encore plus préoccupant, ajoute-t-elle, c’est que la performance française a baissé de 14 points sur 15 ans.

Et si l’on analyse les résultats de la compréhension de l’écrit, c’est à dire la capacité à interpréter des textes plus ou moins complexes, la chute est encore plus brutale, moins 22 points en 15 ans.

L’étude TIMSS (Trends in Mathematics and Sciences Study), qui évalue des élèves de CM1, est loin d’être rassurante. Là aussi, la France, avec ses 488 points en maths et ses 487 points en sciences, a un niveau inférieur à la moyenne internationale (500) et européenne (525). Elle arrive d’ailleurs au dernier rang du classement des pays de l’Union Européenne, loin derrière Singapour, le Japon, ou encore la Russie, qui affichent les meilleurs scores.

L’évolution est la même pour le TIMSS Advanced, qui concerne les élèves de Terminale S, moins 100 points en 20 ans. Seulement 1% des élèves atteignent le niveau le plus haut, alors qu’ils étaient encore 15% en 1995. Pour justifier cette médiocrité, le Ministère explique que notre filière n’est pas sélective et est ouverte à tous les élèves qui ont des notes correctes, dans un souci d’égalité des chances, soupire Barbara Lefebvre. Et les réformes annoncées, avec notamment la création d’un tronc commun, ne vont pas dans le bon sens. C’est le rêve du lycée unique, de l’interdisciplinarité, avec la création « d’humanités scientifiques et numériques ». Mais cela cache, en fait, la destruction des disciplines fondamentales.

LE TRIOMPHE DES UTOPIES

Conséquence directe de ces dérives, à l’entrée au collège, j’ai un tiers, voire la moitié de mes classes en grande difficulté. La France a abandonné les classes moyennes et ouvrières. Seuls les enfants des milieux sociaux professionnels supérieurs, et ceux des enseignants (qui connaissent les rouages du système) s’en sortent, s’insurge-t-elle. Il y a une déconstruction des savoirs. On ne transmet plus une connaissance historique et littéraire commune, qui constitue le socle de la Nation. Et cela génère une crise de l’autorité de l’adulte en général, qui détient pourtant une légitimité naturelle, conférée par la société. Or, les institutions remettent en question la confiance et la reconnaissance accordée à l’enseignant. L’élève a désormais le droit de contester, de désobéir, d’être son propre maître. Le pouvoir hiérarchique a été détruit, comme tous les rapports de domination, sous l’effet de la « beat génération », des hippies et de Mai 68. On traite l’enfant comme son égal. Or, pour élever quelqu’un, on doit être en position haute, les rapports doivent être verticaux. Et comme ce n’est plus le cas, l’individualisme de masse triomphe, l’ego devient primordial, comme on le constate avec l’explosion des réseaux sociaux qui accentuent la domination du « je » tout puissant, tempête Barbara Lefebvre.

La mission culturelle de l’école s’amenuise, tout comme l’objectif social et civique, au profit du but utilitaire. Cela remonte aux années 60 et trouve même ses origines à la fin du 19ème siècle, avec l’ « Education nouvelle » qui prône les méthodes actives (Montessori, écoles en forêt, avec un maître qui anime le groupe et organise des travaux pratiques). Trop utopiques, elles ne peuvent être mises en œuvre, mais elles influencent certains « pédagogistes » et débouchent sur le Plan Langevin-Wallon, en 1947. Deux professeurs, membres du Parti Communiste, qui veulent mettre fin à l’élitisme et à l’intellectualisme et supprimer le cloisonnement disciplinaire. Ces thèses séduisent et vont dominer les recherches de l’IPN, devenu depuis l’INRP, qui va institutionnaliser cette nouvelle pédagogie, servie, en parallèle, par une augmentation massive du nombre des élèves. Décision est prise de revoir les méthodes et le contenu de l’enseignement.

UNE VOLONTÉ POLITIQUE

Mise au ban de la dictée en 1970 et priorité à l’oral. L ‘écrit, jugé trop discriminant, devient très limité et la grammaire structurale est mise en place, tout comme les maths modernes, qui, vu le fiasco, sont abandonnées durant la décennie 1990.

Cette institutionnalisation des sciences de l’éducation ouvre la porte aux « pédagogistes » qui verrouillent tout, y compris la formation des maîtres, qui vont reproduire ce modèle, souligne Barbara Lefebvre. Cette volonté de fonder une « école nouvelle » est soutenue par les Ministres de l’Education Nationale. Alain Peyrefitte, pour qui l’enseignant est un animateur, au service des enfants. Puis, Edgar Pisani, pour qui le rôle de l’école ne se limite pas à la transmission des connaissances.

Une révolution culturelle est en marche. On remet en cause le principe d’autorité, on privilégie les méthodes actives et on supprime les cours magistraux. On parle de bilans et non plus d’examens, on évalue par cycles et non plus par année. En juillet 1968, Edgar Faure décide de repousser à la 4ème l’apprentissage du latin (expulsé par Najat Vallaud-Belkacem mais réhabilité par son successeur, même si le Capes de Lettres Classiques reste, pour l’heure, supprimé),

C’est la fin des compositions trimestrielles obligatoires, des classements, des notations de 0 à 20, remplacées par des lettres, de A à E. Les représentants des parents d’élèves entrent dans les conseils d’écoles. A la rentrée 69, 3 heures disparaissent en primaire. Il n’y a plus que 15 heures pour le français et les maths, et en revanche on accorde 12 heures aux disciplines d’éveil.

C’est le français, clé de voûte du système, qui subit les plus vives attaques. Il y a une volonté de déraciner la littérature française et l’histoire, pourtant génératrices d’intégration, martèle Barbara Lefebvre. 600 heures d’enseignement du français ont disparu. C’est catastrophique. les apprentissages fondamentaux régressent, sans pour autant profiter aux autres disciplines. En 6ème, les enfants n’ont aucune connaissance historique !

Pour pallier l’évidente baisse de niveau, on diffère les apprentissages par cycles, on étale l’apprentissage de la lecture jusqu’au CE2, alors qu’avant, cela était réglé à la fin du CP.

D’ailleurs, si Najat Vallaud-Belkacem a décidé de rattacher la 6ème à l’école primaire, c’est parce que les fondamentaux n’étaient toujours pas acquis à la fin du CM2.

Il est temps de remettre les savoirs au cœur de l’école, et de stopper cette politique de déconstruction, insiste Barbara Lefebvre. Depuis le départ, il y a eu des résistances mais elles étaient très difficiles à exprimer, car les enseignants craignaient les réactions de leurs chefs d’établissement et les inspecteurs. Or, tout cela est dangereux car l’enseignant a besoin d’une liberté intellectuelle, il ne doit pas être formaté !

Après ce brillant exposé, le débat, animé par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, a été l’occasion de nombreux échanges.

Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Vous avez été qualifiée de « réac publicaine ». Quelle a été votre réaction ?

Cela vient d’un collègue que je pourrais décrire comme « pédago gauchiste » ;

Cela ne m’impressionne pas dans le contexte « politiquement correct » actuel.

Mais, je tiens à préciser que je ne suis pas non plus une « fan » de Jules Ferry et de son patriotisme revanchard.

Il ne faut pas trop d’intrusivité dans les rapports entre les parents et l ‘école. Avec son enseignant, l’enfant a l’identité d’un élève dans un espace public. Il devient un citoyen. Nous devons tous être les gardiens de l’ordre républicain et de la civilité.

Michel Troïkouroff (Juriste) : Peut-on dire que l’apprentissage des faits génère automatiquement l’intelligence et la compréhension ?

Il y a une intelligence naturelle de l’enfant et je suis d’accord avec Céline Alvarez, il faut prendre en compte les découvertes dans le domaine des sciences cognitives. Les neurosciences permettent de comprendre les mécanismes d’apprentissage et montrent que chaque enfant fonctionne différemment. Grâce aux neurosciences, on peut déceler très tôt les enfants qui ont des problèmes, mais il ne faut pas en faire la nouvelle phobie de l’enseignement.

Cela aide car on peut accompagner les enfants de manière individualisée, avec des maîtres spécialisés, comme en Italie, où les enfants avec des handicaps sont intégrés dans les classes.

Ce sont les méthodes d’enseignement qui doivent changer et non pas les effectifs. Je ne suis pas favorable au dédoublement de certaines classes de CP, mesure mise en œuvre en septembre dernier. Cela n’entre pas dans une vision à long terme de refondation de l’éducation.

Vice-Amiral Jean-Louis Vichot : Que pensez-vous des relations parents-professeurs ?

Quid de la multiplication des options ?

Pour les options, je suis d’accord, il y a trop de dispersion.

Ma priorité, c’est l’école primaire, qu’il faut reprendre en main.

70% du temps scolaire doit être consacré au français et aux maths.

Il faut laisser de côté les méthodes actives, avec en son centre, «l’élève enquêteur »

Il faut un enseignement explicite, avec le professeur qui doit guider.

Je conteste la prééminence du travail de groupe (car c’est le bon élève qui fait tout…) pour apprendre les savoirs fondamentaux.

L’idée que l’enfant apprend mieux de ses pairs que de l’enseignant doit être combattue.

Elisabeth Couffignal (Consultant) : La Finlande est souvent citée en exemple. Qu’en pensez-vous ?

La Finlande est un petit pays avec une forte homogénéité culturelle, alors que la France est très diversifiée. Le modèle français n’est pas un modèle pour un certain nombre d’autres pays européens, anglo-saxons, protestants. Nous sommes centralisés, monarchiques, avec un inconscient collectif très français, nous nous voyons comme un phare culturel et donc, copier l’école finlandaise ou canadienne serai aussi une erreur, car cela serait contraire à nos racines.

Jean-Louis Pierrel (Relations Universitaires IBM France. Secrétaire Général Adjoint Géostratégies 2000)

Edward Bryant (Conférencier. Ex DRH PriceWaterHouse Cooper) :

L’évolution rapide des technologies, notamment le numérique, implique également une prise en compte de l’Education Nationale. Quelle méthode adopter ?

Oui, l’école doit s’adapter, mais elle ne doit pas courir derrière les avancées technologiques. Aux USA, les grands patrons d’Apple, d’Amazon ou Google mettent leurs enfants dans des écoles où il n’y a pas de numérique. Cela fait réfléchir !

Ils ont compris que l’on pouvait éveiller l’esprit de l’enfant autrement et certainement d’une meilleure façon. Il faut laisser le temps aux évolutions numériques de faire leurs preuves.

Les tableaux numériques interactifs sont une belle avancée, mais je ne suis pas favorable à l’utilisation de tablettes par les enfants.

Il faudrait déjà leur apprendre à tenir correctement un crayon, or, les maîtres n’ont pas eu l’apprentissage de la graphie et cela se ressent sur les élèves qui ont énormément de mal à écrire longtemps.

En revanche, je milite pour l’enseignement de la musique, du solfège, dès le CP, comme en Chine. C’est un travail de mémorisation et aide à l’apprentissage des fondamentaux.

C’est cela l’élitisme républicain et cela ne doit pas être réservé à quelques « protégés », triés sur le volet, qui peuvent intégrer les CHAM (Classes à Horaires Aménagés Musique).

Que pensez-vous de l’usage des portables ?

Les portables sont interdits par la loi dans les écoles primaires et les collèges. Mais, dans les faits, il n’en est rien. Cela devient l’usage.

Les parents font également preuve d’une grande irresponsabilité en achetant des smartphones à leurs enfants. Ils ont de multiples applications qui vont jusqu’à des sites pornos…

Un téléphone sert à prévenir ses parents, un point c’est tout.

Annick et Jacques Lutfalla (Professeur agrégé de Mathématiques-ER ; Contrôleur Général des Armées 2°s) : Comment expliquez-vous que la France soit seconde en Médaille Fields, malgré la baisse du niveau des mathématiques ?

L’enseignement supérieur français est très bon, car il y a eu la sélection des meilleurs. C’est terrible, mais ensuite, en entreprise, c’est encore pire. Le fait de reculer toujours plus loin la sélection crée la frustration. Il faudrait un discours beaucoup plus clair sur la nécessité de la sélection.

Une mention « très bien » au Bac n’a plus la même signification qu’avant. Les fautes d’orthographe et de syntaxe ne sont plus sanctionnées. En maths, si le résultat est faux, mais si le raisonnement est bon, on obtient des points…

Roger Cukierman (Président d’honneur du CRIF) : Quid de l’instruction civique et de la laïcité ?

Cette question de la laïcité est instrumentalisée à l’école. Elle sert le politiquement correct, le « bien penser ». Mais, ce n’est pas enseigné, car ce n’est ni une valeur, ni une philosophie.

Cela s’incarne à travers l’enseignant. C’est une pratique sociale qui repose sur une base juridique.

Ce qu’il faut expliquer, c’est que chacun a le droit d’exister en tant que citoyen au sein d’un établissement scolaire, avant d’être reconnu comme catholique, musulman, juif…

C’est pourquoi je juge inacceptable les « striptease islamiques », avant d’entrer dans les lycées ou les collèges. Les jeunes filles enlèvent leurs voiles et certains vêtements mais gardent d’autres signes religieux à l’insu de leurs parents, qui, généralement, ne soutiennent pas ce comportement.

Marie-Clotilde HINGRAY Propos non revus par intervenants