« Les défis économiques qui attendent le nouveau Président »

 

Le jeudi 15 juin, Géostratégies 2000 a organisé un petit déjeuner dans les Salons du Palais du Luxembourg, autour d’Olivier Passet, Directeur des synthèses économiques chez Xerfi. Cet économiste, passé par l’OFCE et le Commissariat Général au Plan, a analysé les différents défis économiques qui attendent Emmanuel Macron. Se voulant neutre et impartial, il nous a livré une grille de lecture plutôt optimiste, même s’il n’a pas caché son inquiétude face au manque global de compétitivité des entreprises. Il a insisté sur l’impérieuse nécessité d’une spécialisation sur des créneaux haut de gamme, tout en regrettant que cette dynamique ne soit pas assez au cœur des réformes du nouveau Président.

Je n’ai jamais appuyé la thèse du déclinisme ou de la faillite française, je juge tout cela excessif et contre productif, déclare, d’entrée de jeu, Olivier Passet, avant de se livrer à un « check up » de l’économie de notre pays. Notre croissance est inférieure à celle de beaucoup de pays développés, et le PIB par habitant décroche. C’est un élément inquiétant mais qui doit être relativisé, car l’indicateur phare, selon moi, est le rapport du PIB à la population active en âge de travailler. Et là, la donne n’est plus la même. Cela augure d’une dynamique à long terme (c’est aussi le cas pour le Japon et les USA), malgré des difficultés à court terme.

FORCES ET FAIBLESSES

La vraie rupture a eu lieu en 2008, à cause d’un mauvais timing budgétaire. Le gouvernement a injecté seulement 2,5 points dans le budget, contre 8 pour le Danemark et environ 5 au Royaume Unis. Nous avons une incapacité à gérer nos finances de façon contra cyclique, déplore Olivier Passet, à cause de nos rigidités. En revanche, nous savons affronter la mondialisation, surtout dans le secteur de la finance, et le pilotage des grandes entreprises. Nous sommes très bien placés, par exemple, dans le domaine des fusions-acquisitions.

Toutefois, 2008 est la crise que la France a le mieux traversée en terme de dynamique de l’emploi.

Actuellement, le taux de chômage atteint des pics, et pourtant, sous la Présidence Hollande, 700 000 emplois ont été créés. Certes, il y a un grand nombre d’auto entrepreneurs, nuance Olivier Passet, mais le marché du travail fonctionne mieux que dans les années 1990. Il a été réformé à la  marge, sur fond de bricolage. Les entreprises ont su introduire une forme de flexibilité, en contournant la loi. Malgré tout, le taux de chômage structurel ne va pas descendre en dessous de 7%, même si l’emploi repart plus vite que prévu après une crise.

Pendant longtemps, l’endettement public n’a pas été ma première préoccupation, je ne partageais pas le point de vue alarmant du Rapport Pébereau, car la dette des ménages et des entreprises restait très raisonnable. Ce qui expliquait les très bonnes notes données par les agences de rating. Or, désormais, elle s’envole, le taux d’endettement est proche de 90%.. Cela devient plus dangereux, mais il ne faut pas non plus exagérer, nous sommes tout à fait capable de faire baisser la dette publique de 100 à 60% d’ici 10 ans, sans thérapies de choc, prises dans l’urgence.

En revanche, le commerce extérieur constitue un « gros point rouge », martèle Olivier Passet. La dégradation tendancielle du déficit commercial, hors énergie, est liée à un manque de compétitivité par rapport aux autres pays. Et si l’on observe une certaine stabilisation, celle ci s’est faite au prix d’une compression sur les coûts. Nous souffrons également d’un problème de spécialisations. La France a disparu des radars des biens de consommation (petit équipement ménager, textile, automobile délocalisée…). Il faut absolument nous orienter vers une économie de services exportables haut de gamme, comme l’ingénierie, où nous sommes très performants.

Par ailleurs, nos grands groupes multinationaux compensent nos faiblesses. Ils sont délocalisés, externalisés et ont beaucoup atténué le choc sur l’emploi, car ils vivent aussi sur des marchés qui n’ont pas été touchés par la crise. C’est un paramètre à prendre en compte, tout comme notre croissance démographique qui est supérieure à notre environnement européen. Cela relativise notre croissance, car notre PIB s’aligne sur cet environnement et cache, en fait, un décrochage du PIB par habitant. Il faut donc absolument gagner des parts de marché, et dépasser nos voisins en termes de croissance. C’est un défi nouveau qui s’ajoute à tous ceux que doit relever le Président Macron, relève Olivier Passet.

UNE OBLIGATION DE RÉSULTAT

La question de la compétitivité est centrale. La France n’a pas démérité en termes de coûts unitaires. Seule l’Allemagne a de meilleurs résultats. Mais pour rester dans la course, il a fallu faire de gros efforts, et ce n’est pas une économie de bas coûts qui résout tous les problèmes. Il faut aussi se démarquer sur des spécialisations haut de gamme, réinventer un discours de politique industrielle, et exploiter notre portefeuille d’activités de services aux entreprises. Nous devons conforter nos bases pour résister au pôle rhénan, et ne pas seulement laisser jouer le marché. L’idée de la « destruction créatrice » m’inquiète, car ces deux étapes ne sont pas simultanées. Intellectuellement, nous ne sommes pas armés, nous manquons de vision stratégique et de toute façon, nous ne remonterons pas notre handicap par rapport à l’Allemagne, notamment en terme de profitabilité des entreprises, reconnaît Olivier Passet.

Sur le plan financier, tous les pays sont logés à la même enseigne. La France a même l’avantage de ne pas avoir de dettes cachées, comme l’Allemagne avec ses travailleurs pauvres. Notre modèle est robuste, car il trace toutes les dépenses de santé, d’assurance et d’éducation. Cela entraine moins de risques de dérives et donc de débudgétisation. Mais on ne peut pas nier une certaine lourdeur liée à notre dette publique qui atteint les 100%.

Le programme d’Emmanuel Macron est basé sur la flexi-sécurité, c’est à dire, alléger le droit du travail, et en même temps, assumer l’assurance collective, financée par l’impôt. Il ne va pas réduire la voilure de l’Etat, mais il aura un vrai choix budgétaire à faire, des un contexte très serré, car, pour l’heure, toutes ses propositions ne sont pas entièrement financées. Si la reprise s’accélérait, cela aiderait à financer la transition. Car toute réforme a un coût, elle a souvent un impact sur la croissance au départ. De plus, avec 4% de déficit public, il n’hérite pas d’une situation exceptionnelle… Et là-dessus, vient se greffer la question de l’emploi. La nouvelle Loi Travail doit être très bien gérée. C’est un chantier nécessaire, mais risqué, et il ne va pas régler les problèmes des PME-TPE, alors que ces dernières sont déjà très pénalisées, en terme de provisionnement des coûts et des délais, par rapport aux grands groupes.

Derrière son visage neuf, Emmanuel Macron s’appuie sur les idées de 2008 de Jacques Attali, conclut Olivier Passet. La question est de savoir s’il saura relever les enjeux liés aux nouvelles formes de travail, comme l’ «uberisation », et s’il sera à la hauteur du grand chantier de la transition numérique.

L ‘exposé d’Olivier Passet a été suivi d’un débat, animé comme à l’accoutumée, par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, qui a permis d’approfondir les différents thèmes abordés.

Quel est le programme d’Emmanuel Macron en matière de formation professionnelle?

La réforme de la formation professionnelle est l’un des piliers de son programme. Il l’a d’ailleurs « pompée » en grande partie sur le modèle danois. Il y a probablement des passerelles entre les réformes du marché du travail et de la formation. Les circuits de financement de cette dernière pourraient être un atout pour négocier avec les syndicats. Une sorte de « donnant-donnant » qui pourrait expliquer le calme relatif de la CGT.

Si tout cela aboutit à une vraie réforme des systèmes de formation, alors, il faudra une véritable reconversion des syndicats, qui devront être associés aux résultats, comme dans les pays du Nord. Ils pourraient gérer la formation, la reconversion, l’équilibre des caisses de chômage, mais avec une obligation de résultats.

Jean-Louis Pierrel (Relations Universitaires IBM France- Secrétaire Général Adjoint Géostratégies 2000)

Alain Busnel (Gérant Rosebud Production)

La France a de grands groupes internationaux et un vrai réseau de start up , mais comment fortifier et développer les entreprises de taille intermédiaire?

La France va-t-elle réussir sa révolution numérique, se développer sous l’impact de « l’innovation destructrice »?

Il est vrai que les grandes entreprises internationales ont déjà provisionné le coût des nouvelles lois travail. De plus, elles ont un vaste portefeuille de pays qui leur permet de lisser les résultats.

Le contexte n’est pas le même pour les sous-traitants. Les PME, soumises aux délais de paiement et de livraison, souffrent.

Si l’ »uberisation » entre en pirate, elle sera diabolique. Il faut anticiper au maximum pour éviter cela. Mais de toute façon, nous nous dirigeons vers un système de flexibilité technologique, qui va affaiblir le pacte social.

François-Xavier Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines, Secrétaire Général et Trésorier de Géostratégies 2000) : On souligne souvent le manque d’ambition de beaucoup de patrons de PME françaises , comparés à leurs homologues allemands ou italiens. Qu’en pensez-vous?

Le discours plaintif des PME, comme quoi il est difficile de survivre, existe dans tous les pays du monde. En fait, les PME sont surtout implantées localement et elles ont un marché limité, ce qui est normal. Seules 5% de ces entreprises ont un projet de développement national, voire international, et cela est la norme partout en Europe.

Jacques Taranger (Inspecteur du Personnel Civil de la Défense) : Que pensez-vous de la croissance verte?

La croissance verte est un concept « valise ». Chacun a sa définition et attend un miracle.

Il faut d’abord développer des pôles de compétitivité, où l’on baisse les coûts et où l’on monte en gamme. Il faut aussi accepter la mobilité, ne pas toujours avoir le même produit phare.

La croissance verte doit s’intégrer dans une vision globale, avec des choix structurants et réfléchis. Si on pense la croissance verte comme une politique industrielle, alors oui, il faut miser dessus et la décliner avec des programmes spécifiques.

Carol Amouyel-Kent (Présidente de la Oxford University of Paris : Comment expliquer la forte croissance relative de la Grande-Bretagne après la crise de 2007/2008?

Après les années Thatcher, la Grande-Bretagne était en retard. Il y a eu un rattrapage par rapport au PIB par habitant de la France. Cet effet « bouchon » qui saute a généré de la croissance facile. Mais, il ne faut pas sous estimer le déséquilibre des paiements qui est assez lourd. En revanche, il y a une bonne gestion de la politique monétaire, contra cyclique et pragmatique. Toutefois, on observe aussi une dégradation de la qualité des emplois, de plus en plus de cadres sont embauchés comme auto entrepreneurs et il n’y a pas vraiment de souffle de productivité.

Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Après le Brexit, quid des  300 000 Français qui travaillent à Londres et n’ont pas envie de revenir?

Pour le moment, il y a une résilience de l’économie britannique. Il ne semble pas y avoir d’effet massif sur les emplois londoniens.

L’économie rencontrera des difficultés , mais la City va se maintenir, elle saura se réinventer. Les incitations à y travailler sont toujours d’actualité.

Raymond Douyère (Président de Géostragies 2000) : Dans quels secteurs la France doit-elle se spécialiser? Comment? Par le biais d’investissements étatiques?

Nicolas Sarkozy a posé de bonnes bases avec sa politique des pôles et la création du Commissariat Général à l’Investissement. L’Etat doit se transformer en « capital-risker » et essaimer. Nos points forts sont l’aéronautique, le luxe. L’agro alimentaire est à la peine mais devrait revenir sur le devant de la scène. Il fut aussi développer de nouvelles pistes, comme l’ingénierie, les biens d’équipement. Tout ce qui touche au « B and B »

Il est tout à fait légitime que l’Etat identifie des points forts dans des bassins d’emploi et co-finance des projets porteurs. Mais, il est impossible d’homogénéiser tout un territoire, donc, il faut des politiques qui compensent les déséquilibres. Il ne faut pas non plus propulser des services à faible compétitivité, les emplois du bas, comme les aides à la personne. C’est une erreur, car tous les pays le font. Il faut un moteur. En Allemagne, l’automobile et les biens d’équipement représentent un tiers de l’économie et tirent tout le reste. En France, c’est seulement un quart des activités qui sont porteuses.

Raymond Douyère (Président de Géostratégie 2000) : La Chine est devenue leader dans le domaine de l’énergie renouvelable. La France pourrait elle la rattraper?

En France, nous souffrons de la faiblesse de notre modèle énergétique. Nous n’avons pas provisionné le coût des choix précédents. Nous avons un héritage fécond, mais il a une durée de vie limitée et les coûts de démontage et nettoyage vont être énormes. C’est l’exemple type d’une mauvaise gestion inter- temporelle. Nous ne sommes pas compétitifs dans la production d’énergies renouvelables, nous nous faisons doubler par la Chine et l’Allemagne. Il y a urgence.

En revanche, l’équilibre des budgets sociaux semble mieux assuré à long terme en France qu’en Allemagne (avec les nouveaux emplois à bas salaire) et en Europe du Sud .

Quel impact vont avoir deux des mesures d’Emmanuel Macron, à savoir la hausse de la CSG et les retraites à point?

Je pensais que tout ceci constituerait le psychodrame de la campagne.Mais, la retraite à points est à très long terme et elle a aussi un côté positif. Cela permettrait un équilibre permanent, qui n’est pas garanti actuellement, avec un simple ajustement sur l’inflation. En revanche, on assume une certaine paupérisation des retraités, ce qui n’est pas anodin. Mais, avec cette orientation, on remet l’intéressement aux fruits de la croissance au cœur des retraites et on cesse l’hypocrisie actuelle.

Pour ce qui est de la CSG, c’est une grande continuité. Je n’ai pas de réelle conviction entre augmentation de la CSG ou de la TVA. Avec la première, ce sont les retraités qui paient ; avec la seconde, ce sont les plus pauvres. La CSG a permis une fiscalisation de la protection sociale qui a été plutôt positive pour l’emploi. Mais on ne peu pas subventionner les seuls emplois peu qualifiés. Les industries exposées à la concurrence ne sont pas concernées et c’est très regrettable. C’est là une déception par rapport au programme d’Emmanuel Macron.

Marie-Clotilde Hingray

Propos non revus par intervenant