Le mercredi 21 octobre 2015, Géostratégies 2000 a reçu dans les Salons du Palais du Luxembourg, le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, un homme de foi, qui a donné à un auditoire captivé, une belle leçon d’humanité et de tolérance. Cet ancien Aumônier des Armées et de l’Ecole Polytechnique, fin connaisseur des questions géostratégiques et de défense nationale, a livré un témoignage pertinent, que ce soit sur les questions actuelles d’éthique, les interrogations sociétales ou le dialogue interreligieux. Il a également distillé de précieuses recommandations pour faire face à la crise morale et spirituelle que nous traversons.
Haïm Korsia a tenu à souligner en préambule que l’engagement était une valeur essentielle à ces yeux.
«
Elle peut faire peur à nos sociétés, centrées excessivement sur la recherche du plaisir et l’hédonisme. Elle doit être au cœur de nos vies comme elle l’est pour notre armée ».
Lors des obsèques des dix militaires français tués à Uzbin, en Afghanistan, au cours d’une embuscade, le Président de la République avait évoqué dans son discours des « victimes ».
A mon sens, leur engagement en faisait non des victimes mais des héros, s’exclame Haïm Korsia.
L’engagement ne saurait souffrir d’aucune entrave ni précaution, car il empêche de croire que nous pouvons changer les bases de la société. Il sous-entend que de la défiance.
Si les Juifs avaient appliqué ce principe de précaution, ils seraient toujours en esclavage, de l’autre côté de la Mer Rouge, plaisante-t-il.
Ils avaient confiance en leur capacité à changer leur destin pour avoir une vie meilleure.
Il en est de même aujourd’hui. Nous devons avoir la force de réinventer notre futur, unis malgré nos peurs.
Parmi ces peurs celle de l’étranger.
Nous avons la chance de vivre dans une société laïque, à pouvoir y être croyant ou non. Nous nous côtoyons avec nos différences sociales et religieuses, car nous avons un socle commun de valeurs.
Prenons ainsi la question des migrants, qu’il serait, selon moi, préférable d’appeler des réfugiés.
Elle nous interpelle actuellement.
«
Tu aimeras l ‘étranger comme toi-même », nous enseigne la Bible. Nous sommes tous étrangers les uns vis-à-vis des autres, les différences sont nécessaires. Dieu préfère que nous soyons rassemblés, même contre lui, que désunis en son nom. Les religions feraient bien de méditer cela.
Il faut construire de l’unité, mais pas de l’uniformité, sinon on n’apprend rien de l’autresi cen’est notre propre reflet. Dieu a distingué chacun et chacune, le génie de chaque peuple est nécessaire au fonctionnement du monde. Il faut des mélanges pour obtenir un alliage unique. Il faut être capable d’intégrer des différences pour partager ensemble, c’est cela le dépassement, et c’est ce qui donne sens au concept de « nation », souligne Haïm Korsia, qui regrette que l’engagement citoyen s’amenuise peu à peu. On n’envisage plus un nouveau possible, or, au-delà du possible, il y a un autre possible, et c’est ce qui doit nous faire avancer. C’est aussi ce que martèlent les religions. Chez les catholiques, au moment de l’eucharistie, le croyant incorpore du pain, qui est devenu le corps du Christ, grâce à la parole du prêtre. Il devient alors un «
petit Messie » C’est la même chose chez les juifs.
Il est aussi primordial de rêver. Comme l’a dit Max-Pol Fouchet, homme de radio et de télévision, inventeur d’émissions littéraires comme « Le Fil de la Vie » et « Lectures pour Tous »,
« le chemin le plus direct de A àB n’est pas la ligne droite mais le songe ». Désormais, on oublie de rêver d’une France fraternelle. Heureusement, il y a eu un sursaut le 11 janvier. Comme l’a dit le Président Hollande : «
Tous n’ont pas défilé, mais ceux qui ont défilé, l’ont fait pour tous ». Quatre millions de personnes se sont dit : «
quel est mon devoir? » Et il était temps, car lors des assassinats de Mohammed Merah à Toulouse, l’indifférence a été terrible et comme le dit si bien Elie Wiesel, «
le pire de l’amour, ce n’est pas la haine, mais l’indifférence ».
Nous devons faire vivre cet élan du 11 janvier, retrouver ce bonheur simple d’être français, ensemble, mais avec nos spécificités, conclut Haïm Korsia, Individuellement, nous avons tous une responsabilité et nous devons nous engager pour réinventer le futur.
Cette brillante intervention s’est poursuivie par un débat riche en échanges et animé, comme à l’accoutumée, par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000.
Jean-Louis Pierrel (Chargé des Relations Universitaires IBM France- Secrétaire Général Adjoint de Géostratégies 2000) : Quelles explications face à la montée des intégrismes et leur radicalisation?
C’est toujours l’échec de la foi. L’impossibilité de penser avec l’autre, car on considère que sa vie est le modèle à suivre. Il faut lutter contre cela. Dieu demande à ce que l’on respecte la liberté de chacun. Or, l’intégrisme rejette l’étincelle divine des autres.
Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Que penser des intégristes dans le judaïsme?
Ils ne sont pas dangereux et vivent au sein de leur communauté. Ils ne sont pas prosélytes et n’ont pas le souci de convertir. C’est plus compliqué pour une religion à vocation universelle. Historiquement, il y a eu l’Inquisition, les Conquistadores chez les catholiques. On imposait la religion par l’épée.
Cela n’existe pas dans le judaïsme.
Jean-Loup Pinet (Président JLP Marine Consulting): Comment vis tu ton rôle de « jeune » Grand Rabbin, au milieu des représentants des autres religions, plus âgés?
L’âge est une théorie abstraite. Nous avons l’habitude de travailler ensemble et l’entente est très bonne. D’ailleurs, j’ai déjà coécrit un livre avec un représentant de la communauté protestante et c’est un cardinal qui a rédigé la préface. Un bel exemple de fraternité et de dialogue.
La jeunesse est un âge où on ne dit pas les choses, mais où on les construit.
Jean Yves Le Fevre (Ancien Directeur d’Exploitation à la Banque Hervet - HSBC) : On parle d’intégrisme, mais pourquoi ne pas parler directement de l’Islam, puisqu’aujourd’hui, c’est cette religion qui pose problème?
En 1905, la loi de séparation des Églises et de l’État a fait des juifs et des protestants des victimes collatérales. Concernant l’Islam prenons la question du voile. Si celui ci est une prescription, il est aussi devenu un symbole politique. Je l’ai toujours affirmé, mais je n’ai pas été suivi. Ordonner d’enlever le niqab n’est pas un acte islamophobe, mais un acte républicain.
Parallèlement, la création d’une aumônerie musulmane en 2005 a été une bonne décision. Cela a rendu une dignité aux Musulmans et ils ont eu une représentativité.
Il faut aussi être conscient que la religion n’empêche pas l’engagement. Notre credo, tous cultes confondus, c’est : « Que pouvons-nous faire pour l’État? » Des associations comme le Secours Catholique Français apportent leur aide en tant que citoyens et non en tant que religieux. Aucun certificat de baptême n’est demandé.
Jean-Louis Pierrel (Chargé des Relations Universitaires IBM France - Secrétaire Général Adjoint de Géostratégies 2000) : Quelle est votre analyse face à la possible transformation de l’humanité suite aux révolutions technologiques (cœur artificiel, intelligence artificielle, learning machine…)?
Les juifs font Shabbat. Cela dure 24 heures, pendant lesquelles ils n’utilisent ni téléphone, ni voiture, ni internet et cela leur permet de retrouver leur humanité, de se désintoxiquer.
Il est nécessaire d’intégrer les transformations, mais sans oublier ce qu’est l’humain.
Aujourd’hui, grâce à de nouvelles techniques médicales, on réussit à apaiser la douleur j’applaudis.
L’impossibilité d’avoir un enfant naturellement est souvent une telle souffrance que je comprends la Procréation Médicalement Assistée. Dieu a instillé du Mal pour nous obliger à le réparer. Dans son Encyclique sur la Nature, le Pape François exprime ses préoccupations environnementales et nous appelle à travailler et à conserver la Terre, notre bien le plus précieux.
Toutes les religions ont une vraie préoccupation sur ce qu’est l’humain, et sur ce qui l’entoure.
Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Quelle est la position de votre religion sur les grandes évolutions sociétales?
Nous sommes opposés aux directives anticipées sur la fin de vie. Personne ne peut témoigner de ce qu’il ne connait pas. Comme le dit si joliment Georges Braque, «
j’aime la règle qui corrige l’émotion. » Cela pourrait être la plus belle définition des religions
Jean-Pierre Duport (Ancien Préfet de la Région Ile de France) : On parle d’un nombre croissant de Français partant pour Israël. Confirmez-vous cette tendance?
Au delà même des juifs de France posons-nous la question du départ de beaucoup de jeunes Français à l’étranger. C’est le manque de foi en leur avenir. Pour les juifs, c’est plus aigu car ils ne sentent plus en sécurité. Le détonateur a été les assassinats de Ilan Halimi puis ceux commis par Mohamed Merah.
Les répercussions se ressentent seulement maintenant car les formalités sont longues avant de franchir le pas et leur départ m’inquiète car il est révélateur en partie de notre impuissance à leur offrir une autre alternative
Il y avait un adage qui disait « Etre heureux comme un juif en France ». J’aimerais pouvoir le réentendre.
Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Vous avez repris en d’autres termes les devises de Napoléon « Impossible n’est pas français » ou « Je fais mes plans sur les rêves de nos soldats endormis »
Y voyez-vous un besoin de rêve réalisable pour les Français?
On est toujours parvenu à dépasser ce qui était jugé comme insurmontable, par exemple la perte de l’Alsace-Moselle. Lors de l’Affaire Dreyfus, les juifs des États Baltes disaient qu’un « pays qui se fracture en deux pour un pauvre petit capitaine juif, est un pays où il faut vivre »
Nous avons besoin de la fermeté de l’État, il doit rappeler les règles et les limites.
On se rassemble dans la souffrance et la joie. En France, cela s’est produit lors de deux moments forts, le 12 juillet 1998, après avoir gagné la Coupe du monde de Football et le 11 janvier 2015, moment intense d’émotion, de recueillement et de fraternité.