« Renforcer le consentement à l’impôt : pourquoi et comment? »

P1010054 Le 14 avril 2015, Vincent Drezet, Secrétaire Général du Syndicat National Solidaire -Finances Publiques était l’invité de Géostratégies 2000, autour d’un petit déjeuner organisé dans les salons du Palais du Luxembourg. Alors que la contestation fiscale gronde de toute part, cet Inspecteur principal des finances publiques a tenu à clarifier la situation et à rétablir des vérités. Il a aussi souligné qu’une politique fiscale n’est pas neutre et qu’elle dépend avant tout de choix de société. Tout en reconnaissant que des aménagements et des orientations nouvelles étaient souhaitables. « Nous payons trop d’impôts ». Ce sentiment diffus se propage de plus en plus dans l’opinion publique et pourtant, l’impôt crée un lien entre l’individu et la société où il vit, avance prudemment Vincent Drezet, avant de brosser un rapide état des lieux. Au départ, il y avait surtout des prélèvements d’autorité, assez conjoncturels, pour financer une guerre ou punir des populations. Puis, petit à petit, le système est devenu permanent, le véritable tournant datant de 1314, sous Philippe Le Bel. Les révoltes sont fréquentes contre le pouvoir royal absolu, qui perçoit ces impôts, et cela va aboutir à la Convocation des Etats Généraux en 1789. Le Tiers Etat est excédé de payer un lourd tribut, alors que la Noblesse et le Clergé sont exemptés. L’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen rétablit le principe de consentement, mais cela ne suffit pas à éteindre toutes les contestations qui, d’ailleurs, sont toujours d’actualité remarque Vincent Drezet, qui cite en exemple le mouvement des « Bonnets Rouges »contre l’éco taxe. UN SENTIMENT DE « RAS LE BOL » Cette vague d’incompréhension est assez inquiétante, de plus en plus de contribuables viennent exprimer leur mécontentement au sein même de l’administration des finances publiques, parfois même en reflétant ainsi un discours populiste dangereux. Pourtant, observe-t-il, jusqu’au début du 21ème siècle, il y avait une bonne acceptation de l’impôt. Les Français étaient prêts à payer un peu plus pour avoir des services publics de meilleure qualité. Mais, à partir de 2008, la tendance s’inverse. La moitié des Français réclame une baisse d’impôts, et est prête à concéder, en échange, une réduction des services publics. L’internationalisation des échanges, la mondialisation, la financiarisation de l’économie créent un monde plus instable et déséquilibré, où les crises se succèdent, notamment celle des subprimes aux USA, ou encore, la crise de la Grèce. Les citoyens ne supportent plus une répartition des richesses de plus en plus injuste, des revenus salariaux en constante diminution. Parallèlement, le chômage, la baisse du pouvoir d’achat et la hausse des dépenses sociales creusent la dette et le déficit public. Notre système fiscal, qui est d’une grande complexité, souffre d’un manque de lisibilité. Il ne dispense pas assez d’informations claires, affirme Vincent Drezet. Cela est flagrant avec les niches fiscales qui, dans l’esprit d’une majorité de Français, permettent aux plus riches d’épargner, tout en réduisant le montant de leurs impôts. L’instabilité fiscale est également très préjudiciable. Le choix gouvernemental de réduire le déficit public est souvent mal perçu. Le contribuable ne se sent pas responsable de cet état de fait, et accepte de plus en plus difficilement un système fiscal jugé injuste et compliqué. La société devient de plus en plus individualiste, le discours sur un prétendu assistanat se développe.. La critique gronde face aux dérives des institutions et à la fraude fiscale, qui représente un manque à gagner de 60 à 80 milliards pour la France et de 1000 milliards d’euros pour l’Union Européenne. Cela peut aussi déboucher sur des distorsions de concurrence. Les PME, par exemple, sont beaucoup moins bien armées que les grosses entreprises, qui jouent à fond l’optimisation fiscale. Pour les ménages, le scénario est le même. Par ailleurs, insiste Vincent Drezet, le paysage fiscal diffère selon les pays, en fonction du niveau de leurs services publics et de leur protection sociale. En France, les prélèvements obligatoires atteignent un niveau élevé, environ 46% de la richesse nationale (avec, symétriquement, un haut niveau de dépenses publiques). Cela s’explique par des choix historiques. Ainsi, après guerre, la loi Laroque crée une couverture sociale pour l’ensemble de la population, gérée par les partenaires sociaux et financée par les cotisations des employeurs et des salariés. En revanche, aux USA, le système de santé est financé à 55% par le secteur privé. Une orientation différente, plus chère et moins uniforme, où le coût des dépenses de santé se monte à 17% du PIB, alors qu’en France, il n’est que de 11%. EXPLIQUER LES ENJEUX ET LES PRIORITÉS En France, les recettes fiscales atteignent un montant quasi similaire à celui des autres pays de l’Union Européenne. Pourtant, les taux sont plus élevés que la moyenne, notamment ceux qui touchent les sociétés. Mais, le C.I.C.E., les mesures dérogatoires ou encore les possibilités de déductions ( provisions…) du bénéfice sont autant de dispositions et de niches qui permettent de niveler l’ensemble, note Vincent Drezet, qui précise que, souvent, grâce à des mesures comme le crédit d’impôt-recherche, les grands groupes ont un taux d’imposition inférieur à celui des PME. La base de l’assiette est trop étroite, et le constat est exactement le même pour les ménages. Ce contexte, assez confus, qui prévaut aussi pour les taxes locales, très archaïques, alimente l’incompréhension. Sans oublier la TVA, qui constitue la moitié des recettes fiscales. Tout ceci engendre une évolution dangereuse pour la vie en société, une méfiance de plus en plus marquée vers les élites et nourrit un grand absentéisme électoral. Comment faire pour réconcilier les Français et l’impôt, s’interroge Vincent Drezet. A l’évidence, le discours macro-économique généraliste ne suffit plus. Pour convaincre, il serait préférable de s’adresser aux français en imaginant une société sans impôts, où seuls ceux qui utilisent un service le paient. Cela signifierait un système éducatif privatisé (10 000 euros pour le lycée, 8000 euros pour le collège par élève et par an), un système de santé également privatisé, y compris les pompiers et tous les services aujourd’hui publics. Or, une réflexion s’impose, lorsque l’on sait qu’un départ du feu coûte plus de 5000 euros de l’heure. Le scénario serait le même pour les routes, avec de nombreux péages à acquitter. C’est un raisonnement par l’absurde, mais ces exemples sont très parlants. Cela démontre que lorsque l’on paie des impôts, on en retire aussi un bénéfice. Il y a toujours une incidence sociale et économique vertueuse à la mise au pot commun. Où se situe la frontière entre actions privées et publiques? Que doit prendre en charge la société ? Voilà des questions essentielles qui doivent être posées. Toutefois, les comparaisons internationales sont faussées à cause de systèmes fiscaux disparates. L’absence de politique fiscale commune dans la zone euro est un handicap. Une harmonisation de l’imposition sur les entreprises changerait la donne. Les grands groupes sont très mobiles et établissent leur siège là où les conditions sont les plus favorables, assène Vincent Drezet. Il faut aussi s’attaquer à la TVA et à la grande fraude inter communautaire actuelle. Cette fraude est organisée entre plusieurs groupes (secteurs du commerce, des composants électroniques, de la téléphonie mobile et du textile) pour obtenir le remboursement par un Etat de l’Union d’une taxe qui n’a jamais été acquittée en amont, ou pour réduire le montant à payer. Elle s’élève en France à un peu plus de 25 milliards d’euros. Il faut aussi intensifier les échanges automatiques d’information concernant les revenus de source étrangère. Pour appliquer correctement la loi fiscale, Il est impératif que chaque administration fiscale ait toutes les connaissances disponibles sur ses ressortissants à l’échelle mondiale. Il faut également exploiter de nouvelles pistes, adapter les règles fiscales à l’ère numérique et taxer les bénéfices là où la valeur est créée. Dans le viseur, Google, Facebook, Apple et Amazon. La fiscalité comportementale, taxe sur les boissons, certains produits alimentaires et le tabac est également à l’étude, conclut Vincent Drezet, qui recommande la plus grande pédagogie pour traiter ce chantier explosif. L’intervention de Vincent Drezet a été suivie d’un débat animé par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, et qui a donné lieu à des échanges riches et variés. Régis Paranque (Inspecteur Général (H) des Finances) : La suppression de la première tranche du barème de l’impôt sur le revenu n’est-elle pas une erreur majeure ? C’est l’aveu qu’il y avait eu une augmentation d’impôts trop importante pour une partie des contribuables. Toutefois, c’est un mauvais signal pour la minorité de Français qui paie le maximum de l’impôt sur le revenu. Cela pose le problème de la cohésion nationale et nous éloigne de l’idée de l’impôt citoyen. Vice-Amiral Jean-Louis Vichot (Délégué Général de l’UDESCA) : Lors de chaque campagne présidentielle, une grande réforme fiscale est toujours annoncée. Quelle piste privilégiez-vous pour 2017 ? Il est souvent question d’unifier l’impôt sur le revenu et la CSG, qui rapporte, à elle seule, 90 milliards d’euros, et dont le revenu est affecté au budget de laSécurité Sociale, contrairement à l’impôt sur le revenu qui finance le budget de l’État. La CSG a une assiette très large et est prélevée très facilement. L’impôt sur le revenu est plus complexe, mais il est progressif et déclaratif, un point capital dans la démarche citoyenne. Sur quoi alignerait-on un impôt fusionné? Faudrait-il supprimer le quotient familial et conjugal, le remplacer par un système de crédit d’impôt? Quid de l’affectation des recettes? Tous ces points ne peuvent être résolus facilement. Selon moi, il serait préférable d’améliorer les deux prélèvements, mais séparément. On peut rapprocher les deux assiettes, mais il faut préserver les deux affectations distinctes(Sécurité Sociale et Etat). Il faut également mener une réflexion sur la fiscalité des sociétés, s’attaquer au crédit d’impôt recherche et le recentrer sur la « vraie »recherche (2 à3 milliards sur les 6 milliards sont de la pure optimisation fiscale). Les impôts locaux, eux aussi, doivent être révisés sur des bases intelligentes et se rapprocher étroitement des estimations des agences immobilières. Francis Babé (Directeur des Etudes - Association Régionale des Auditeurs IHEDN) : Pour quels résultats payons-nous des impôts? Nous avons le sentiment de payer toujours plus pour des résultats catastrophiques. Oui, le sentiment de payer pour les autres se renforce et les contreparties se dégradent. Le système de protection sociale voit ses dépenses augmenter avec le vieillissement de la population, un taux de fécondité élevé, des charges liées à l’éducation et à la santé de plus en plus lourdes. Et en parallèle, la désertification des services publics dans les zones rurales s’accentue. Conséquence de la volonté de réduire les déficits et la dette publique. La logique des politiques de rigueur est posée. Lors de mesures d’allègement d’impôts, il faut voir si leur coût est supérieur ou inférieur à ce que l’on en a retiré économiquement. Le tableau n’est pas entièrement noir. L’État continue sa politique d’investissements publics. Il y consacre environ 85 milliards d’euros. Mais, le maître mot doit être l’efficacité. François-Xavier Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines. Secrétaire Général et Trésorier de Géostratégies 2000) : Des taux d’imposition apparents beaucoup plus élevés que les taux réels ont de graves conséquences sur l’image internationale de la France (manque d’attractivité). Nos politiques -en particulier socialistes- semblent totalement ignorer ce problème et nos concurrents en profitent au maximum. Oui, celui nuit à l’image de la France, mais surtout pour les entreprises moyennes. Les grands groupes ont plus de marge de manœuvre. D’ailleurs, une plaisanterie court dans les couloirs de Bercy, comme quoi ceux- ci choisiraient eux- même leur taux d’imposition. Cependant, nous avons aussi l’Agence Française pour les Investissements Internationaux, qui vante à l’extérieur des frontières notre forte productivité, ainsi que le nouveau C.I.C.E. La taxe à 75% a été improvisée et analysée comme une volonté de taxer les agents économiques qui investissent. Cela a tué le débat sur la progressivité de l’impôt. C’était incohérent et non rentable. Au final, on ne peut pas vraiment parler d’indifférence, il y a plutôt un double discours qui doit absolument être rééquilibré et réorienté. Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Tous les gouvernements d’Europe, à l’exception de la France, ont aboli l’ISF. Cet impôt est-il productif ou contre productif ? Oui, c’est une spécificité française. Il rapporte 4 milliards d’euros et est acquitté par 300 000 contribuables. Payé avec les revenus du patrimoine, il constitue de fait une surcote par rapport à l’impôt sur le revenu peu progressif. Il a été créé par Michel Rocard pour financer le RMI. Il est accusé de favoriser l‘exil fiscal, mais c’est tout relatif. Avant 2011, seuls 0,12 à 0,14% de Français ont quitté leur pays, et parmi ceux-ci, 30 à40% sont revenus. En revanche, il ne faut pas sous estimer l’attractivité de destinations voisines comme la Belgique. Si on réformait l’impôt sur le revenu et si on supprimait les niches fiscales, on pourrait supprimer l’ISF. Toutefois, il serait judicieux de l’aménager. Il serait préférable d’avoir des taux très faibles sur des bases très larges. Ainsi, on rétablirait un certain équilibre entre les couches aisées et les très aisées qui réussissent à y échapper. Enfin, l’argument selon lequel les prélèvements obligatoires nuisent à l’activité économique est contestable. Si cela s’avérait juste, la France ferait partie des pays les moins riches. Or, son PIB s’est élevé en 2014 à 2100 milliards d’euros. Il faut raison garder. Au reste, ce sont les pays les moins avancés qui présentent le taux de prélèvements obligatoires rapporté au PIB le moins élevé… Christophe Bouchez (Avocat - Cabinet Veil-Jourde) : L’amélioration du consentement à l’impôt ne passe-t-elle pas d’abord par une meilleure utilisation des deniers publics? Suppression des dépenses inutiles, concentration vers les missions régaliennes ? Il faut avoir en tête la question suivante : quel est le niveau d’action publique souhaité, sur le plan de la santé et de l’éducation nationale notamment. Quel est notre objectif commun, tout en prenant également en compte la nécessaire correction des inégalités. Celles-ci se développent dans les pays anglo-saxons, conséquence d’un système fiscal moins présent qu’en France avec, parallèlement, des dépenses importantes en faveur des mécanismes privés (assurances santé privées par exemple). Des réformes structurelles doivent avoir lieu, mais il faut bien les cibler. Les salariés se sentent en régression salariale. Pour contrebalancer ce manque à gagner, il faudrait renforcer leurs droits, par exemple. La fiscalité peut également jouer un rôle de rééquilibrage. Pour mettre à contribution l’ensemble des richesses et pas seulement les revenus du travail, on pourrait fiscaliser les ressources venant de la Sécurité Sociale. C’est une piste à étudier. De même, les entreprises qui embauchent devraient avoir une imposition fiscale plus avantageuse. Il faut prendre en compte la valeur ajoutée. Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Comment lutter contre la fraude fiscale ? Le poids de la fraude fiscale internationale est tel qu’il déstabilise notre économie. Pour le moment, nous utilisons uniquement les procédures nationales, nous sommes très mal armés. Il faudrait un système d’échange automatique d’informations, mais la coopération internationale fonctionne mal. De plus, la baisse de nos effectifs empêche la performance dans ce domaine. Quelle orientation choisir? La régularisation? La pénalisation? Cette dernière option peut s’avérer dangereuse. Il faut avancer sur le contrôle administratif, adopter une riposte graduée et surtout améliorer au niveau international les moyens juridiques et informatiques. Jean-Pierre Duport (Ancien Préfet de la Région Ile de France) : Y a-t-il des pays où le consentement à l’impôt est différent ? Tous les pays sont confrontés à la même défiance. Même la Suède et le Danemark qui, jusqu’à présent, étaient considérés comme des modèles à suivre. Je tiens toutefois à préciser un point important. En France, les prélèvements obligatoires à destination de l’Etat sont faibles, environ 13,5% du total. La majeure partie des dépenses publiques relève de la Sécurité Sociale. Il faut également prendre en compte la spécificité de notre Défense, qui occupe un poste très important, comparé à la plupart des autres pays membres de l’UE. Une honnêteté dans les comparaisons internationales s’impose pour tenir compte de ce que financent les dépenses publiques et de leur utilité sociale et économique. Marie-Clotilde Hingray