Le mercredi 5 juillet, pour son dernier petit déjeuner avant la trêve estivale, Géostratégies 2000 a reçu Richard Labévière, ancien rédacteur en chef à RFI, à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage «Terrorisme, Face cachée de la Mondialisation », dans lequel il essaie de démonter les rouages du terrorisme moderne. Privilégiant une approche pluridisciplinaire, s’appuyant sur des connaissances très vastes et très pointues, il évolue en permanence du concept au fait, du global au terrain et nous éclaire sur une réalité complexe et multiforme qui prospère grâce à une imbrication de montages financiers « souterrains » qui ont souvent la même origine : les pétromonarchies sunnites.
J’ai derrière moi des années et des années de reportages de terrain et d’enquêtes. Cela fait trente ans que je vais en Syrie. J’ai même interviewé Assad Père. Cette longévité me permet d’avoir plus facilement accès aux informations clés, de bien cerner les différents acteurs, lance d’entrée de jeu, Richard Labévière, avant de commenter la récente décision de l’Arabie Saoudite et de ses alliés de rompre les relations diplomatiques avec le Qatar, l’accusant de soutenir le terrorisme. Un comble, selon lui, puisque l’Arabie Saoudite finance l’islam radical depuis plus de trente ans. Autre bizarrerie, le Conseil de Sécurité de l’ONU, qui normalement adopte des sanctions sévères, comme celles qui frappent la Russie et la Syrie, ne bouge pas. On observe juste quelques déclarations des chancelleries occidentales. En fait, c’est un simulacre, et cela fait écho à un autre scoop mondial, il y a 6 mois, celui du scandale des Panama Papers, qui met en lumière les financements transnationaux du terrorisme et qui est vite oublié, note Richard Labévière, qui pointe du doigt un traitement de l’information, extrêmement critiquable.
L’EMPRISE TERRORISTE
C’est l’argent qui structure et détermine tout, note-t-il. En poste aux Nations Unies à Genève pendant les décennies 80 et 90, je voyais partir des valises d’argent liquide vers les maquis du GIA en Algérie et en Egypte. Tout a basculé avec le meurtre d’un ami dans la guerre civile , puis avec l’attentat de Louxor en 1997 (63 touristes tués, dont de nombreux Suisses). Détaché sur place par la Télévision Suisse Romande, j’ai pu établir que cet acte criminel avait été financé par « Al Taqwa », dénommé aussi « La Piété » un fonds d’investissement, basé à Lugano et aux Bahamas, qui est la devanture des Frères Musulmans (interdits en Egypte depuis 1983) et qui travaille étroitement avec de grandes banques saoudiennes, elles-mêmes en partenariat avec des établissements suisses et hollandais (Amro). Autre étrangeté, 1045 avocats sont inscrits au barreau de Genève, une ville moyenne de 350 000 habitants. Or, seuls 45 exercent réellement leur profession. Les autres réalisent des montages off shore, qui voyagent entre Jersey, Singapour et les Bahamas et contribuent à la plasticité de ces sociétés qui servent, en fait, de masques. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la holding financière de Ben Laden Group (une sorte de Bouygues du Moyen Orient) y a son siège social.
Avec les attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et Dar El Salam, en 1998, un pas supplémentaire est franchi. Or, le FBI, en analysant des poussières d’explosifs, découvre que le matériel utilisé provient de l’armée américaine. Tout cela a été organisé par des Afghans, recrutés et formés par les services américains pour combattre les Soviétiques entre 1979 et 1989 et qui se sont retournés contre leurs « maîtres ». Cela provoque le « Ben Laden Gate », une guerre des polices entre la CIA et le FBI, mais finalement l’affaire est étouffée.
On assiste donc, depuis le début des années 1990, à la montée en puissance d’attentats fomentés par des groupes sunnites radicaux, financés par les Saoudiens, prémices du 11 septembre 2001, martèle Richard Labévière. Ils suivent tous le même cheminement. Il y a une cartographie opérationnelle à partir de 3 foyers. La Jordanie, un « hub » de formation et de passage, l’Afghanistan et le Pakistan et enfin le Maghreb et l’Afrique Sub Saharienne.
L’organisation n’est pas pyramidale, mais « rhizomatique », c’est à dire, en recomposition permanente. De plus, il faut savoir que le financement du passage à l’acte n’est pas très cher (500 000 dollars pour le World Trade Center). Ce qui pèse lourd, en revanche, c’est l’amont, c’est à dire, le recrutement, la formation et l’endoctrinement; et l’aval : la prise en charge des familles, les opérations de chirurgie esthétique au Brésil et au Liban pour faciliter les changements d’identité des terroristes.
UN ENVIRONNEMENT MENAÇANT
En parallèle, se développe également une économie politique, un ensemble de modes de production du capital, très opérationnel, observe Richard Labévière. Dès 1979, Al Qaïda a bénéficié des largesses de Ben Laden Group et de la fortune de la famille. Quant à Daesh, pour éviter de parler des vrais financements qui émanent des Pays du Golfe, on a réussi un tour de passe passe astucieux. On crée la fiction d’un auto financement local, provenant du pétrole, du coton, du trafic d’œuvres d’art et même d’un impôt religieux prélevé sur la population. Et quand Daesh sera éradiqué à Racca et Mossoul, cela ne signifiera pas son extinction. Il y a déjà un redéploiement au Caucase, dans le Nord Ouest Chinois (3000 Chinois combattent en Syrie), dans la Corne de l’Afrique, la zone Sahélienne et le Sud de la Libye.
Hormis les financements classiques qui perdurent et qui émanent notamment du Qatar, on voit de plus en plus interagir les syndicats du crime, les cartels de la drogue, les Etats faillis et les groupes terroristes dans des logiques constitutives d’une économie politique, dont s’accommode parfaitement l’économie globale. On assiste également à une convergence hybride entre les mouvements islamistes et les populations locales, qui alimentent le trafic de l’ivoire en braconnant éléphants et rhinocéros. Les Etats concernés, comme la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina sont très fragiles et souvent complices, car très corrompus, déplore Richard Labévière.
Après chaque nouvel attentat, les pays occidentaux produisent, à leur tour, une économie politique du contre terrorisme. Et même si on ne bombarde pas une idéologie, on prévoit l’augmentation des budgets de la Défense, bridés à cause de l’endettement, mais très vite, les réalités de Bruxelles l’emportent et on privatise des secteurs régaliens, en faisant appel à des sociétés militaires privées, des mercenaires, des entreprises de gardiennage, on installe des caméras partout. Dans des villes comme Londres ou Paris, on est filmé jusqu'à 50 fois par jour, mais ces données sont peu exploitées. Le but étant d’abord de rassurer les populations. Les officiers de renseignement privé d’intelligence économique se multiplient et cela crée un secteur économique à part entière qui emploie plus de 350 000 personnes et qui est désormais plus important que notre pôle automobile.
Voilà pour la « phénoménologie », mais quelle est la signification conceptuelle, s’interroge Richard Labévière. Il faut cesser d’analyser le terrorisme contemporain en termes de crise, d’accident ou de pathologie. Il faut le voir comme un processus banalisé, normalisé, nécessaire à la continuation des logiques de nos économies qui se sont mondialisées. La fin de la Guerre Froide a provoqué le démantèlement des Etats Nation, la disparition des services publics, la diminution de la redistribution sociale. Tout ceci s’accompagne d’une révolution numérique commune à tous. Le terrorisme profite de cette révolution dont personne ne maîtrise les effets et qui échappe à tout contrôle. Georges Bataille, spécialiste des civilisations pré colombiennes, a publié en 1957 un ouvrage intitulé la « Part Maudite ». Il explique que chaque processus d’expansion économique a sa « part maudite » de gaspillage, de destruction, qu’il appelle la « consumation ». Dans nos sociétés, le terrorisme est devenu cette part de « consumation » du capitalisme mondialisé, affirme Richard Labévière qui choisit de conclure sur une dernière provocation. Tout comme Lénine parlait de l’impérialisme comme stade suprême du capitalisme, je pense que l’on peut voir le terrorisme comme le stade suprême de la mondialisation…
Après ce brillant exposé, Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000 a animé un débat, riche et très intéressant.
Jean-Louis Pierrel (Relations Universitaires IBM France. Secrétaire Général adjoint de Géostratégies 2000) : Depuis les « Luxleak » et « Panama Papers », il semble que l’OCDE se soit lancée dans une limitation des paradis fiscaux. Pensez-vous qu’il soit possible de restreindre réellement les flux opaque
J’ai fait partie d’un groupe de travail à l’OCDE, où je m’occupais de la traçabilité des mécanismes de financement des réseaux terroristes. D’ailleurs, les Américains ont décidé de quitter ce groupe de travail…
C’est utile, car cela permet de chiffrer la fraude fiscale, de mieux cerner les zones off shore. Mais, c’est tout. Cela ne permet pas de progresser. Par exemple, la Suisse est de moins en moins un paradis fiscal. Conséquence, les financements prennent un autre chemin. Il y a toujours une activité économique au départ (comme la construction de mosquées en Albanie) et à un certain moment, on perd toute trace. Le problème vient aussi des outils à disposition pour le suivi opérationnel. Avant les enquêtes des juges anti terroristes, les pièces à conviction s’envolent…
Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : La Suisse n’est pas aussi transparente qu’elle le proclame. Qu’en est-il des 45 000 comptes que la France voudrait rapatrier?
C’est lent mais cela se fait peu à peu. Il ne faut pas non plus fonder trop d’espoirs. C’est un système opaque. Beaucoup de banquiers ont déjà déménagé leur savoir faire vers de nouvelles places comme Singapour ou le Liban.
Bernard Ouillon (Attaché de direction- RTE S-G) : Comment expliquer le silence du monde occidental face au financement du terrorisme ?
Quid des missions des organismes comme Tracfin? Pourquoi n’y a-t-il pas de coordination?
Pour démanteler ces mécanismes, il faut du temps. Je veux rendre hommage à Tracfin, qui n’est ni fluide, ni rapide, mais qui fonctionne bien. Et souvent, ses réussites ne sont pas médiatisées. On se heurte trop souvent à la difficile coopération européenne, sur le plan de la justice. Les extraditions sont trop souvent rejetées ou retardées, notamment par le Royaume Uni qui s’abrite derrière l’Habeas Corpus. il a fallu attendre 15 ans pour pouvoir interroger un des responsables de l’attentat du RER à Saint Michel en 1995.
Europol n’est pas opérationnel, Interpol est très efficace. Pour la police et le renseignement, on a pris une très bonne direction.
Devant toutes les nouvelles lois anti terroriste, je suis perplexe. On légifère beaucoup, mais est-ce efficace? Au delà de l’effet d’annonce, il est primordial d’être sur le terrain!
Paul Rechter (Vice-président de Géostratégies 2000)
Marielle Vichot (Professeur agrégée d’histoire. Lycée Janson de Sailly):
Quid du Hezbollah?
Qu’en est-il du financement de l’Iran qui se pose en challenger du contrôle de la région du Moyen Orient?
L’Iran véhicule également beaucoup de fantasmes. La révolution islamique de 1979, les otages de l’ambassade américaine, tout cela a créé un traumatisme, la peur d’une propagation.
C’est en partie pour ce motif que les pays occidentaux ont poussé Saddam Hussein à entrer en guerre contre l’Iran. Pendant la guerre civile libanaise, l’Iran a financé des attentats sur le sol français (la rue de Rennes) et au Liban, avec le Drakkar (46 soldats tués). il y a eu aussi de nombreuses prises d’otages. C’était pour lutter contre le soutien de la France à l’Irak. Il y a quand même eu 6 Super Étendard sous cocarde irakienne mais avec des pilotes français qui ont bombardé des villes iraniennes…
L’Iran a aussi utilisé le bonus du terrorisme pour assassiner de nombreux opposants, mais cela s’estompe dès 1989 avec la fin de la guerre au Liban. Ils ont compris que ce n’était pas la meilleure manière de promouvoir leurs intérêts à l’étranger. C’est à parti de la guerre de du Golfe de 1990 que l’on observe une montée en puissance du djihadisme sunnite, contre les USA.
Le Hezbollah a été créé en 1983, quand Israël a envahi le Sud Liban. Il s’est vite imposé comme une organisation militaire et politique solide, notamment après l’assassinat de l’Ambassadeur de France, Louis Delamare, dont il a commandité l’action.
Aujourd’hui, les chiites sont majoritaires au Liban mais le Hezbollah s’appuie sur une armée très efficace. Il peut mobiliser ses forces spéciales qui comptent entre 3000 et 5000 hommes et qui ont d’ailleurs détruit, en 2006, plusieurs centaines de chars et d’hélicoptères israéliens [des sources dignes de foi donnent des chiffres très différents : destruction d’une vingtaine de chars Merkava et de quelques hélicoptères. NDLR]
Pendant longtemps, la France n’a pas voulu que le Hezbollah soit reconnu comme une organisation terroriste sur les listes européennes. Tout simplement, parce qu’il faisait tampon entre nos Casques Bleus de la FINUL et les groupes terroristes. Il stabilise la région, négocie et sert de médiateur avec l’Iran. Il a notamment joué un rôle décisif dans la libération de l ‘étudiante française emprisonnée à Téhéran.Les analystes français de terrain ont compris qu’Al Qaïda aurait pris Tripoli, et peut être Tyr et Saïda sans le barrage du Hezbollah, à partir de 2013.
C’est une situation très complexe, où les forces spéciales d’Israël en arrivent à aider les djihadistes de Cosa Nostra, car ils sont engagés contre le Hezbollah, perçu comme la menace principale dans la région, avec ses missiles de longue portée.
François-Xavier Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines. Secrétaire Général et Trésorier de Géostratégies 2000) : A quoi attribuez-vous la décision américaine de déclencher la seconde guerre du Golfe?
L’Irak, au départ, a accueilli un terrorisme d’Etat, avec notamment, l’OLP, qui a organisé de nombreuses attaques terroristes, dont la plus emblématique fut celle des Jeux olympiques de Munich en 1972. Il a également, avec la Libye, soutenu Carlos et Abu Nidal. Saddam Hussein a donc un passé sulfureux. Mais ce sont les Occidentaux qui l’ont poussé à faire la guerre contre l’Iran. Mais, cela a coûté cher et les dettes de guerre restent impayées. Donc, pour riposter, il met la main sur le Koweït, ce qui déclenche l’intervention occidentale, menée par les USA et la Grande Bretagne [1ère guerre du Golfe à laquelle la France participe – opération Daguet NDLR] : justifiée par la présence d’armes de destruction massive, qui n’ont toujours pas été trouvées [justification fallacieuse donnée par les USA et le RU pour la 2ème guerre du Golfe, à laquelle la France a refusé de participer .NDLR]…. Il a fallu avoir recours à des mensonges d’Etat pour lancer cette guerre qui a contourné le Conseil de sécurité et qui a été très critiquée par la France, notamment lors du discours de Dominique de Villepin à l’ONU. Une posture très gaulliste…
Parmi les motivations, il y a certes le pétrole, mais cela n’a pas été décisif. En fait, les Américains voulaient construire une plate - forme inter armées en Irak, pour endiguer l’expansion de la Chine, ce qui est une véritable obsession de la diplomatie américaine. Ils veulent avoir des moyens de projection, à partir de l’Irak, voire de l’Iran. Ce qui explique pourquoi Obama a tant insisté pour finaliser l’accord sur le nucléaire. Les USA veulent mener un redéploiement stratégique à partir de l’Asie Centrale. Parallèlement au redéploiement maritime en cours avec la marine japonaise.
Michel Troïkouroff (Juriste):Quel est l’intérêt pour des pays comme l’Arabie Saoudite et le Qatar de financer le terrorisme?
Les pays concernés sont des pays wahhabites, les plus conservateurs de l’islam sunnite. Il faudrait revisionner Lawrence d’Arabie, les révolutions arabes de 1916. Au départ, en Arabie Saoudite, les dirigeants étaient des Hachémites. Les Saoud vivaient dans le désert, en tribu. Mais, alors que l’on promet à Fayçal un grand royaume arabe, dans le même temps on procède au démantèlement de l’Empire Ottoman. Les accords Sykes-Picot, qui prévoient un découpage du Proche Orient, sont signés. En même temps, il y a la Déclaration Balfour en faveur de la création d’un Etat pour Israël. il est clair que les Hachémites vont devenir gênants. Les Américains et les Britanniques sortent alors de leur chapeau les Saoud, mais ceux ci n’ont aucune légitimité, notamment sur La Mecque et les lieux saints. En rentrant de Yalta en février 1945, le Président Roosevelt rencontre le roi Ibn Saoud sur le cuirassé Quincy. Un pacte est signé. Les Américains garantissent au monarque et à se successeurs une protection sans faille en échange d’un accès aux gisements pétroliers. Aramco obtient un monopole d’exploitation. Accord signé pour 60 ans et qui sera d’ailleurs renouvelé en 2005 par le Président Bush, dans la plus grande discrétion….La dynastie Saoud veut acheter, à tout prix, sa légitimité, en finançant tout et n’importe quoi, des associations caritatives mais aussi des groupes radicaux comme les Frères Musulmans. C’est la diplomatie du chéquier qui vise à assurer l’hégémonie de l’islam sunnite. Ainsi, la dynastie Saoud peut se déclarer être le gardien du vrai islam.
Les Qataris, qui sont aussi wahhabites, ont la chance d’être assis sur la plus grande nappe de gaz off shore. Mais, lorsqu’en mai, ils signent un accord de 15 milliards de dollars avec Gazprom pour moderniser leur exploitation, cela rend les Américains furieux. Simultanément, en Iran, Hassan Rohani est réélu pour poursuivre la politique d’ouverture et de réforme. C’est un scrutin clair et démocratique. Ce même jour, le 20 mai, Donald Trump est en visite officielle en Arabie Saoudite, à qui il vend pour 100 milliards de dollars d’armement, et en échange, le Prince héritier s’engage à investir autant aux USA. Forts de cet appui américain, les Saoudiens montrent alors au Qatar qu’ils vont redevenir le vrai patron dans la région.
Alain Busnel (Gérant Rosebud Production) Y a-t-il un avenir politique (voire territorial) pour le peuple kurde?
Les Kurdes jouent un rôle important dans l’issue du conflit en Syrie et en Irak. Cette guerre superpose 4 niveaux de conflictualité. Les Américains contre les Russes, l’Arabie Saoudite contre l’Iran, les Turcs contre les Kurdes et le djihadisme local contre un djihadisme plus global. La question kurde est transversale. Il y a une entité kurde en Iran, plus ou moins achetée par le régime et assez calme, malgré quelques « poussées de fièvre », des mouvements contre des postes frontière, perpétrés par le PJAK, un mouvement pour l’indépendance kurde. Il y a aussi le Kurdistan irakien, assez largement autonome, qui traite directement avec les Américains et Israël. La zone frontalière entre la Syrie et la Turquie, le plus gros morceau, en semi autonomie . Assad leur a promis un accord de partition fédérale après la guerre.et toute la partie turque. Les Kurdes sont la première composante des forces démocratiques qui assiègent Racca, Les Américains leur livrent des tonnes de blindés, ils sont aidés par l’aviation russe et également par la Syrie, mais ils craignent d’être les « dindons de la farce », car il semble difficile pour les Kurdes de rester à Racca, une fois la ville libérée.
Il y a une instrumentalisation des Kurdes par les Américains et cela irrite fortement Erdogan. Les Américains soufflent le chaud et le froid, car ils veulent aussi le ménager et garder la Turquie dans l’OTAN.
Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Pourquoi avez-vous intitulé votre ouvrage « Terrorisme, face cachée de la mondialisation »? Le terrorisme ne se sert-il pas de la mondialisation?
Ce n’est pas aussi mécanique. Quelle que soit l’analyse que l’on fait de la mondialisation, on ne peut nier sa réalité. Elle fragilise les États Nation, accentue la fragmentation territoriale, politique et économique et favorise une reprivatisation. Une évolution qui permet aussi le développement de ces grands groupes « rhizomatiques » comme Google, Facebook….Il y a des similitudes de process dans les logiques de redéploiement économique, territorial et géostratégique, qui visent à affaiblir, voire détruire les Etats Nation. Car ces derniers empêchent encore une universalité du capital sans frein et sans régulation.
Raymond Douyère : Il y a donc plus un parallélisme entre mondialisation et terrorisme qu’un rapport de cause à effet ?
C’est consubstantiel, on avance ensemble.
Cette nouvelle course à l’argent génère des reconfigurations économiques, politiques et sociales et de nouvelles menaces terroristes.
Que pensez-vous de la Lettre ouverte rédigée par une centaine d’intellectuels et adressée à Emmanuel Macron, critiquant son revirement sur la Syrie ?
La France a toujours soutenu la ligne « ni Daesh, ni Assad ». Or, le Président Macron vient de déclarer que le départ de Bachar El Assad n’était plus un préalable non négociable dans la résolution du conflit. J’approuve cette prise de position. Je ne soutenais pas la posture précédente. Que cela nous plaise ou non, Bachar El Assad sera réélu. Il a le soutien des Alaouites, des chrétiens, des druzes et d’une grande partie de la bourgeoisie. Il faut être réaliste. De plus, s’il est tué, il sera remplacé par un clone. Il ne faut pas fragmenter, tribaliser les États Nation. Les journalistes font trop souvent de la morale plutôt que de l’information.
La Syrie a une histoire nationale, des pouvoirs régaliens.
La fermeture de l’Ambassade de France à Damas, en 2012, par Alain Juppé, a été une grave erreur. C’était un moyen de suivre les gamins tentés par Daesh. Ils ont ensuite été perdus de vue.
Aujourd’hui, il y a quelques forces spéciales sur le terrain, mais globalement, nous sommes aveugles et sourds. Les services secrets syriens nous ont quand même permis d’éviter un attentat qui aurait pu être très sanglant…
Dans un premier temps, la nomination d’un chargé d’affaires à Damas pourrait être judicieuse.
Marie-Clotile Hingray Propos non revus par intervenants En italique dans le texte 3 NDLR : précisions émanant de Géostratégies 2000