« Chômage des jeunes : réalités, conséquences, remèdes »

Intervention de François-Xavier MARTIN, Secrétaire général et Trésorier de Géostratégies 2000 le 19 avril 2017. Il existe un large consensus pour considérer que l’amélioration de la situation de l’emploi des jeunes est une priorité absolue. Mais l’affirmation selon laquelle en France 24 % des jeunes seraient au chômage ne correspond pas à la réalité : l’INSEE indique qu’en 2016  640 000 personnes de 15 à 24 ans étaient en recherche d’emploi, alors que la population totale de ces tranches d’âge est d’environ 8 millions d’individus. Tenir compte de ces chiffres est un préalable indispensable à tout plan permettant d’améliorer de façon radicale la situation des jeunes face à l’emploi. Demandez à des Français pris au hasard quel est le principal problème qui se pose aux jeunes, ils vous répondront certainement : « le chômage ». Demandez ensuite combien sont chômeurs : la réponse standard, inspirée par ce que répètent à longueur d’année politiques et médias, sera pratiquement toujours « 24 % ». Mais si vous insistez : « Combien de personnes sont concernées ? » alors, sauf si vous tombez sur un spécialiste de l’emploi, vous n’obtiendrez pratiquement jamais de réponse. Or, les conséquences d’une connaissance limitée à ce seul 24 % sont désastreuses :
  • sur le plan psychologique, car ce chiffre donne l’impression aux Français que l’ampleur du chômage des jeunes est tellement importante qu’il s’agit d’un problème insurmontable, qu’aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, ne pourra jamais régler. Ce « 24 % » n’incite pas les responsables gouvernementaux à expliquer de façon simple quelles améliorations rapides seraient possibles, quels objectifs seraient raisonnables et crédibles, quels moyens humains et financiers devraient permettre de les atteindre,
  • il donne de notre pays une image catastrophique dans des comparaisons internationales souvent biaisées, alimentant ainsi un pessimisme ambiant souvent exagéré dans notre pays.
LA RÉALITÉ DU CHÔMAGE DES JEUNES EN FRANCE Si on poursuit avec persévérance la recherche du nombre de jeunes au chômage, on finit par trouver la réponse dans un tableau du site de l’INSEE : Ce tableau donne les chiffres recherchés : parmi les 15-24 ans, 643 000 sont chômeurs (353 000 hommes et 290 000 femmes), ce qui représente 24 % de la population active de cette tranche d’âge (qui comprend donc environ 2,7 millions d’individus).
En % population active Milliers
Personnes au chômage 9,6 % 2 767
15-24 ans 23,7 % 643
Hommes 10 % 1 487
15-24 ans 24 % 353
Femmes 9,3 % 1 280
15-24 ans 23,2 % 290
Taux de chômage BIT en France métropolitaine (INSEE, enquête emploi 2016)
Chaque classe d’âge récente comprenant environ 800 000 individus, on a donc, parmi les 8 millions de 15-24 ans : 5,3 millions de lycéens, d’étudiants et de personnes ne cherchant pas d’emploi, soit 66 % des 15-24 ans ; un peu plus de 2 millions de personnes ayant un emploi (dont 650 000 en CDD), soit 26 % ; et 643 000 chômeurs, soit 8 %. La réalité est donc que, parmi les Français âgés de 15 à 24 ans, un sur quatre a un emploi ; pour un sur douze, cet emploi est un CDD (soit un emploi sur trois, alors que pour le reste de la population, c’est moins d’un sur dix !) ; et seul un sur douze est chômeur (et non un sur quatre, comme beaucoup le pensent, suite à l’ « information » reçue des médias). Ces chiffres ont deux conséquences. Tout d’abord, alors que les gouvernements successifs affirment avoir pour objectif prioritaire de réduire le chômage des jeunes, en faire sortir de façon permanente 300 000 suffirait à amener le pourcentage de nos 15-24 ans au chômage à un des meilleurs niveaux mondiaux (4 %). En second lieu, la précarité dans leur emploi concerne autant de 15-24 ans que le chômage, ce qui contribue puissamment au pessimisme de ces tranches d’âge. Parallèlement à la réduction du nombre de 15-24 ans au chômage, il serait donc important de limiter la pratique des contrats de travail à durée déterminée aux seuls cas pour lesquels ils ont été instaurés (pointes de travail, remplacements de salariés absents pour congés, maternités, etc.) alors qu’actuellement ils sont également utilisés par certains employeurs pour échapper aux risques qu’ils estiment courir en embauchant des 15-24 ans en contrats à durée indéterminée. LA DÉSINFORMATION PAR LES MÉDIAS Pour des raisons qui tiennent soit de l’ignorance, soit de la mauvaise foi, le pourcentage des jeunes Français au chômage (8 %) n’est pratiquement jamais cité : on parle presque toujours, en particulier dans les médias français, du taux de chômage des jeunes (24 %), qui est trois fois plus élevé. Ainsi, l’association française des anciens élèves des écoles polytechniques suisses de Lausanne et Zürich affirme sur son site : « Taux de chômage des 15-24 ans : Suisse 3 %, France 23 %. » Il s’agit vraisemblablement d’une reprise d’un article du Monde du 3 juillet 2014, qui a publié un article sur le système d’enseignement suisse dont le titre était : « En Suisse, le taux de chômage des 15-24 ans n’est que de 3 % contre 23 % en France. » Or, si on consulte les statistiques officielles suisses, on constate que, depuis plus de dix ans, le taux de chômage suisse des 15-24 ans oscille autour de 8 % et non 3 %. La situation française reste certes nettement plus mauvaise que la Suisse, mais pas dans ce rapport terrifiant entre 3 % et 23 % qui risque d’inhiber l’action, et qui vient vraisemblablement du fait que Le Monde, suivi par l’association des anciens des écoles polytechniques suisses, compare des choux (proportion de jeunes Suisses au chômage) et des carottes (taux de jeunes Français au chômage au sens du BIT). Il en est de même pour la comparaison France-Allemagne :  Le Monde publiait en première page le 9 avril 2014 : « Emploi : un jeune Français sur cinq condamné au chômage ; 22 % des moins de 25 ans n’ont pas trouvé d’emploi trois ans après leur sortie du système scolaire…Cet échec français est d’autant plus criant qu’il n’est pas inéluctable : seuls 5 % des jeunes Allemands sont au chômage. » Si on lit attentivement l’article, on apprend que c’est un Français sur cinq sorti du système éducatif qui est au chômage, et qu’en Allemagne « en 2013, sur 100 jeunes de 15 ans à 25 ans, 44 % poursuivaient leurs études, 31 % avaient un emploi, 16 % poursuivaient une formation professionnelle, 5 % étaient au chômage et 4 % échappaient à toute définition précise ». Si en Allemagne sur 100 jeunes 60 % poursuivent leurs études ou sont en formation, seuls 40 % (et même 36 % si on tient compte des 4 % inclassables) constituent la population active. Le taux de chômage des jeunes y était donc situé à l’époque de l’article entre 12,5 % (5/40) et 13,9 % (5/36) à comparer aux 22 % français (si les Allemands considèrent que les apprentis font partie de la population active, le taux était situé entre 9 % et 9,6 %). C’est nettement mieux qu’en France, mais pas du tout quatre fois mieux, comme voudrait le faire croire le titre du Monde. « TAUX DE CHÔMAGE DES JEUNES AU SENS DU BIT » : UN INDICATEUR NON PERTINENT De plus, il faut noter que le « Taux de chômage des jeunes au sens du BIT » est un indicateur très peu significatif et même trompeur, puisqu’à pourcentage des jeunes au chômage égal, il dégrade l’image des pays qui investissent dans la formation de leur jeunesse, comme le montre l’exemple suivant. Considérons deux pays : A et B, ayant par hypothèse le même taux de jeunes au chômage, pris ici égal à 6 %. Dans le pays A, un tiers (33 %) des jeunes est en formation : lycéens, étudiants ou apprentis. Il en résulte que le pourcentage de jeunes ayant un emploi est de 61 % (100 – 33 – 6). Pour une population jeune active de 67 % (emploi 61 + chômage 6), le taux de chômage au sens du BIT y est de 9 % (6/67). Dans le pays B, ce sont les deux tiers (66 %) des jeunes qui sont en formation. Le même calcul donnera un taux de chômage des jeunes au sens du BIT de… 18 % ! Et pourtant, malgré son taux de chômage des jeunes deux fois plus élevé, la situation du pays B est bien meilleure que celle du pays A. Mais la comparaison entre les seuls « taux de chômage des jeunes au sens du BIT » donne l’impression inverse, car les médias répètent que « en B près d’un jeune sur 5 est au chômage alors qu’en A c’est un sur 10 ». QUELQUES PROPOSITIONS POUR REDONNER CONFIANCE AUX 15-24 ANS. Il est important de ne pas attendre un éventuel retour de la croissance initié par les pouvoirs publics pour entrer dans le cercle vertueux : redémarrage de la croissance – retour de l’optimisme et de la confiance – décisions d’investissements par les acteurs économiques privés – accélération de la croissance résultant de ces investissements, car actuellement les moyens traditionnels de relance monétaire et budgétaire peuvent très difficilement l’amorcer (les taux d’intérêt sont déjà au plus bas, et le financement d’une relance significative par l’emprunt augmenterait les intérêts de la dette et obligerait donc à restreindre les autres dépenses publiques). L’amorçage du cercle vertueux décrit plus haut ne peut reposer que sur un rétablissement préalable de la confiance, et tout particulièrement celle des jeunes. Or des mesures relativement peu coûteuses devraient permettre d’améliorer considérablement la manière dont ces derniers perçoivent leur situation. Une de ces mesures serait d’éliminer du discours public et des médias les sempiternelles références au « taux de chômage des jeunes au sens du BIT » qui, comme nous l’avons montré plus haut, est un indicateur très peu pertinent (dans un pays où toute une tranche d’âge serait en formation, à l’exception d’un unique chômeur, ce taux de chômage serait égal à 100 % !). LA MESURE CLE : 300 000 PLACES SUPPLEMENTAIRES POUR LA FORMATION DE CHÔMEURS DE 15 A 24 ANS Un accueil permanent supplémentaire pour 300 000 personnes de 15 à 24 ans dans l’ensemble du système éducatif (apprentissage compris) ne demanderait qu’une faible augmentation de sa capacité totale. Mettre en place des mesures suffisantes pour inciter les 15-24 ans au chômage à suivre une des formations proposées jusqu’à ce que ces 300 000 formations soient saturées ferait passer le pourcentage de 15-24 ans au chômage de 8 % à 4 % (l’un des plus bas du monde). Pour rétablir la confiance des jeunes, il serait essentiel de communiquer mensuellement sur ces chiffres, et de montrer la décroissance très rapide du nombre (en valeur absolue) de chômeurs chez les 15-24 ans qui résulte de cette mesure. Enfin, il faudrait réunir les organisations patronales des entreprises (surtout les plus petites) et les syndicats de salariés pour qu’ils négocient les dispositions d’un contrat de travail à durée indéterminée destiné à remplacer pour les 15-24 ans les CDD qui ne correspondent pas aux cas pour lesquels ils ont été instaurés, en prenant soin grâce à des dispositions à imaginer que l’offre actuelle de CDI classiques aux 15-24 ans ne migre pas vers une offre basée sur ces nouveaux contrats. Un bon compromis devrait tout à la fois permettre aux salariés d’échapper aux enchaînements de CDD et aux employeurs (surtout les petits) de connaître à l’avance, sans possibilité d’aléa juridique, le montant de l’indemnité qu’ils devraient verser à leurs salariés s’ils souhaitaient s’en séparer. Ces contrats se transformeraient automatiquement en CDI classiques lorsque le salarié atteint 25 ans. Des pénalités spécifiques dissuaderaient l’employeur de licencier des salariés peu de temps avant qu’ils atteignent 25 ans. François-Xavier Martin