« Islam de convivance ou Islam de combat ? »

  Le jeudi 12 mars, Géostratégies 2000 a reçu dans un des salons des restaurants du Palais du Luxembourg, Christian Lochon, Professeur à l’Institut Ghazali de Formation des Imams de la Grande Mosquée de Paris, autour d’un petit déjeuner consacré à un sujet brûlant et complexe : l’islam.  Cet érudit, chargé de cours à Panthéon Assas, a démontré le rôle des différentes lectures et interprétations du Coran, véhiculées au cours des temps, et leur impact sur les orientations prises aujourd’hui au nom de l’islam. Et il s’est efforcé de nous convaincre que les appels au combat de certains musulmans au nom du Coran provenaient d’un manque de connaissance historique du contexte dans lequel ces appels ont été émis.   L’enseignement du fait religieux est indispensable, car l’ignorance est terrible et source de conflits, prévient d’emblée Christian Lochon, qui cite l’exemple du Liban. Dans ce pays, ce sont les musulmans qui sont des croyants convertis, et non pas les chrétiens, comme on le croit trop souvent, note-t-il. Le Coran n’est pas organisé comme la Bible, en respectant un ordre chronologique. Il a été mis en volume pendant de longues années, et ceux qui notaient, au bout de 20 ans, ont décidé de collecter les Sourates par ordre de grandeur, des plus longues aux plus courtes. L’environnement culturel a joué un rôle important, c’était l ‘époque des poètes.  Le ton oratoire, semblable à celui de la poésie pré islamique, prédomine. Or,certains musulmans contestent cette présentation du Coran, remarque Christian Lochon, qui rappelle, par ailleurs, que, dans les sourates, Mahomet se comporte le plus souvent en prophète, faisant appel à la charité et à la solidarité. Mais, parfois, on trouve des versets conjoncturels, en rapport avec son existence personnelle. Il est ainsi allé à Médine, une ville oasis, où sont installées trois tribus juives. Il essaie de les renverser pour prendre le pouvoir, et à cette occasion, on trouve des versets avec une forte connotation anti juive. Ils relatent un épisode de sa vie et non sa pensée profonde. En tout cas, résume, Christian Lochon, la fiabilité de tous ces textes est affirmée et confirmée. Cela a été la même chose pour le christianisme, les Pères de l’Eglise ont reproduit les paroles de Jésus dans quatre Evangiles. Mais cela a été le fruit d’âpres discussions. D’ailleurs, les Coptes ont imposé un cinquième Evangile, celui de Barnabé, note Christian Lochon, avant de se pencher sur les Hadiths, c’est à dire tout ce que le Prophète a dit. Ils sont très nombreux (entre 10 et 15 000) et ont été publiés même après sa mort. Ils ont suscité de nombreuses controverses, qui ont abouti à différentes perceptions théologiques.   UNE MULTITUDE DE COURANTS   Globalement, on distingue quatre Ecoles, explique Christian Lochon.  Chez les Hanafites, la coutume et la parole des compagnons du prophète ont une grande importance. Ils sont très libéraux, l’opinion personnelle compte beaucoup. Les Malékites, eux aussi, mettent l’accent sur l’avis des compagnons du prophète, et accordent une grande place aux coutumes et aux normes juridiques, mais celles-ci ne doivent pas contredire la loi divine.  Les Shâfiites, qui se positionnent entre ces deux courants, insistent sur le nécessaire consensus de la communauté. Et enfin, il y a les Hanbalites, qui proclament que tous les Hadiths sont valables, et qui exigent l’obéissance au leader musulman, qui détient la vérité.  Ces Ecoles ont constitué la base du droit musulman, jusqu’à l’arrivée au 19ème siècle, du mouvement salafiste wahhabite, plus radical, qui veut ramener l’Islam à sa pureté primitive, qui rejette toute tradition écrite et orale et qui s’en tient à la seule source du Coran. La chute de l’Empire Ottoman, en 1924, a beaucoup renforcé cette idéologie, inspirée en grande partie par les travaux d’Ibn Taymiya, qui a vécu au 13ème siècle à Damas, souligne Christian Lochon. Dans ses écrits, on retrouve un nombre extraordinaire de fatwas, appelant à combattre les juifs, les chrétiens, les mongols, les chiites, les ismaéliens et les druzes. Il vante l’application stricte de la charia et veut imposer l’autorité de l’islam par le djihad A l’heure actuelle, pour justifier leurs actions, beaucoup d’idéologues islamistes se référent à lui, tels les leaders d’Ai Quaida et de Daesh, trouvant des analogies entre cette période et le monde d’aujourd’hui. De toute façon, comme le proclame l’imam de Marseille, il y a une charia par génération, on prend dans le Coran les passages qui correspondent le mieux aux défis et aux préoccupations en cours. Cette lecture du Coran était déjà en vogue vers  l’an 800, lorsque les grands intellectuels et philosophes se retrouvèrent à Bagdad et  fondèrent l ‘Ecole du Motazilisme. Un lieu de tolérance et de diversité confessionnelle, où les savants les plus érudits traduisent en arabe toute la science de l’Antiquité grecque et la font parvenir jusqu’en Espagne. Toutefois, un certain esprit contestataire s’y développe aussi, observe Christian Lochon. Ils déclarent que le Coran est fait pour une période limitée, mais pas pour l’éternité. Le Coran a été donné par Dieu à une époque où la civilisation arabe était une civilisation bédouine, qui n’avait rien à voir avec leur mode de vie citadin. La grille de lecture varie selon les époques. Elle peut être écologique, si l’on prend en compte des versets où l’homme est décrit comme gérant de la faune et de la flore, mais aussi beaucoup plus directive, si l’on s’attarde sur les versets recommandant l’obéissance à Dieu, maître suprême. A partir du 11ème siècle, le Motazilisme sera banni, les livres brulés. On retrouve toutefois encore quelques disciples, notamment en Egypte et au Maroc.   PLAIDOYER POUR UN ISLAM ECLAIRE   Un autre élément clé, pour bien comprendre l’Islam, est l’importance du confrérisme, insiste Christian Lochon. Les premiers rassemblements s’organisent dès le 8ème siècle.  Ils donneront naissance aux dynasties almoravide et almohade. C’est l’émergence des grandes confréries, celle des Qadirlyya et celle des Chaziliya, qui auront de nombreuses ramifications, comme celle des « Derviches Tourneurs » et qui ensuite, seront souvent à l’origine des mouvements nationalistes anticolonialistes. Interdites par les Frères Musulmans et les mouvements radicaux, elles sont un lieu de proximité et de convivance entre personnes en haut de l’échelle sociale et gens du peuple. Des personnalités politiques, économiques  et universitaires s’y ressourcent, dans une atmosphère religieuse, où chacun est l’égal de l’autre. Si une solidarité panislamique s’y développe, le respect pour les non musulmans y est également prôné. L’émir Abdelkader, qui appartenait à la Qadiriyya, en Algérie, a ainsi participé au sauvetage de quelque 10 000 chrétiens contre les Turcs, à Damas. Au 19ème siècle, un esprit libéral souffle sur l’islam. De petits groupes, dont certains appartiennent à la franc-maçonnerie, sont reçus dans les Ministères, à Paris et à Londres. En 1925,  cette tradition se perpétue avec Ali Abderraziq, Dans son livre, « l’Islam et les Fondements du pouvoir », ce théologien égyptien, défenseur de l’orthodoxie donne une réponse modérée à la suppression du Califat en Turquie et se pose en réformateur. Il soutient la séparation du politique et du religieux, du temporel et du spirituel. La jeunesse doit connaître cette littérature, qui prouve que l’islam est compatible avec la démocratie, martèle Christian Lochon. Le terme de Calife, pris par les successeurs du prophète, avait une forte connotation religieuse, mais ceci est erroné. Dans le Coran, il est juste en charge de la nature. Lorsque le patron de Daesh s’auto proclame « Calife », ceci est une imposture. Tout est artificiel, sa vraie identité n’est pas Abu Bakr Al Baghdadi mais Ibrahim Al Husayni, et ses connaissances religieuses très limitées. La situation est très confuse, elle s’apparente quelque peu à la « fitnah », période de chaos et de guerre civile, qui a suivi la mort de Mahomet en 632. Deux écoles se sont alors affrontées. La première, qui regroupe les sunnites, pense que la relève doit être assurée par le compagnon de toujours, Abou Bakr. Il est désigné premier calife, c’est le retour aux traditions tribales. La seconde, qui représente les chiites, veut que le successeur appartienne à la famille. Ali, cousin du prophète, marié à sa fille Fatima, est désigné.  Après l’assassinat du troisième calife, puis d’Ali, en 661, la scission entre les deux courants devient définitive. Les chiites sont quasiment éliminés, ils réapparaissent sous les Abbassides, jusqu’à la fin du 10ème siècle, puis sont exterminés par les Turcs sunnites. En 1500, ils reviennent en Iran et en 1979, après la chute du Shah et le coup d’Etat de l’ayatollah Khomeiny, ils reprennent la lutte contre les sunnites. En fait, conclut Christian Lochon, c’est la guerre entre chiites et sunnites qui a mis à feu et à sang le Moyen Orient. Daesh, qui détruit l’image de l’islam dans le monde, poursuit un but majeur : anéantir les chiites d’Irak, les alaouites en Syrie et le Hezbollah au Liban.   Après cet exposé très documenté, Raymond Douyère, Président de Géostratégies, a animé un débat aux échanges très enrichissants.     François-Xavier Martin (Président d’honneur de Crédit X - Mines. Secrétaire Général, Trésorier de Géostratégies 2000) : Quand Daesh traite les coptes ou les chrétiens d’Irak qu’il exécute de « croisés », s’agit-il d’un mensonge délibéré ou le fait-il par ignorance?   C’est de l’ignorance. Malheureusement, les tueries de chrétiens ne datent pas de Daesh. A la chute de l’Empire Ottoman, l’Islam rencontre de graves difficultés. Les chrétiens sont massacrés. Cette année, en 2015, nous célébrons le centenaire du génocide assyrien. En 1900, il y avait encore un chrétien pour quatre citoyens ottomans. Mais ensuite, I million 200 000 arméniens et 300 000 assyro-chaldéens furent exterminés.     Carol Amouyel-Kent (Senior Credit Policy Manager - Royal Bank of Scotland) : Quelle issue voyez-vous pour la lutte entre chiites et sunnites, et quelles implications pour l’Occident?   Il y a une chiitisation de la jeunesse sunnite en France. En Belgique aussi, surtout chez les Marocains. Chez certains musulmans, l’islam se limite à la prière, au ramadan et au port du voile. Il n’y a pas la richesse de la spiritualité. Or, dans ce domaine, les chiites ont une littérature abondante, traduite en français, qui exerce un grand attrait. Derrière tout cela, il y a les services secrets iraniens qui tirent les ficelles et essaient de pénétrer la société européenne.   Jean-Louis Pierrel (Relations universitaires IBM France - Secrétaire Général Adjoint Géostratégies 2000) Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Combien de temps faudra-t-il pour rendre compatible islam et laïcité, comme avec le christianisme qui semble s’en être accommodé? Est-ce envisageable, du fait que l’islam propose une vision globale de la société, et notamment des règles de gouvernement? Comment opposer nos valeurs à celles de gens convaincus des leurs, dans la confrontation en cours?   La France est le seul Etat européen à confondre laïcité et laïcisme. Dans les pays voisins, il y a un enseignement de l’islam, comme de toutes les religions. C’est une marque de respect, une notion que les musulmans n’admettent pas. La charia (qui a inspiré Napoléon pour le Code Civil français) est faite par les hommes, et non par Dieu. Elle institue une société très hiérarchisée, où les musulmans ont tous les droits. Par exemple, si je suis chrétien, je dois me convertir pour épouser un musulman Si je suis copte, je ne peux pas devenir gynécologue. Mais, une loi se change, en fonction de l ‘évolution de la société. Or,  Daesh a remis au goût du jour des versets sur l’esclavage, qui existaient à l’époque du prophète, mais qui n’ont plus leur place dans notre civilisation. Il y a une dichotomie entre notre univers et la législation. La société est également très machiste. Au Moyen Orient, les mariages sont confessionnels et non civils. Les musulmans, les juifs et les chrétiens se marient dans leur communauté et héritent de cette communauté. Par exemple, chez les orthodoxes du Liban, une fille hérite d’une part, mais son frère de deux parts. Tout ceci est imposé par la charia et n’a rien à voir avec la religion.   Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Pourquoi ce déferlement de haine, après les caricatures de Mahomet?   En Iran, on peut voir partout des figures d’Ali et du prophète.  Chez les chiites, la réaction n’est pas la même. Certes, chez les ignorants, cela peut provoquer de l’inquiétude. En fait, l’islam est une religion, qui a été influencée, par le judaïsme d’abord (avec la lapidation et les interdictions alimentaires), mais aussi par la chrétienté. Les cinq prières musulmanes se sont établies peu à peu, en suivant le rythme des monastères chrétiens (4heures du matin, midi, les vêpres, avant le dîner et avant le coucher) présents dans la région. Il y a eu des relais. La religion est universelle, il ne faut pas la communautariser. Marie-Clotilde Hingray