« L’échéance présidentielle de 2017 et les enjeux de politique européenne et internationale »

 
   

Le mardi 17 janvier, Géostratégies 2000 a reçu dans les salons du Palais du Luxembourg, et autour d’un petit-déjeuner, Pascal Perrineau, politologue et spécialiste de sociologie électorale. Le nouveau Président de l’Association des Anciens de Sciences Po a analysé les mouvements profonds et sous-jacents de l’opinion publique, au regard de la nouvelle donne internationale et du comportement des électeurs. Une réflexion qui a permis de mieux comprendre pourquoi l’efficience des sondages était souvent mise à mal ces derniers temps.

Dans un monde désormais multipolaire, où les puissances s’affirment, où le libéralisme est remis en cause, où le terrorisme s’étend, on observe une perte de confiance dans toutes les démocraties, une désorientation des populations, assène d’emblée Pascal Perrineau, Et ce phénomène n’épargne pas la France, ni la prochaine élection présidentielle.

Si elle est entrée dans les mœurs depuis 1965, elle recèle, cette fois, de nombreuses inconnues.

Quel sera le candidat PS et y en aura-t-il vraiment un? François Bayrou se présentera-t-il?

De plus, et c’est une première, le Président sortant ne se représente pas. Un héritage ambigu et vacant, car son capital électoral, depuis 2012, est en voie d’éclatement. Les autres partis semblent mieux contrôler leurs troupes, mais les votes mobiles sont en forte augmentation. Les comportements s’individualisent, ce qui peut réserver de grosses surprises. Il faut également prendre en compte le vote sanction, qui atteint des niveaux élevés. En 2012, les Français ont plus voté contre Nicolas Sarkozy que réellement pour François Hollande. C’est exactement la même chose aux USA avec la victoire de Trump, en Grande-Bretagne avec le Brexit et en Italie avec le référendum perdu de Matteo Renzi, note Pascal Perrineau qui enseignait pendant l’été 2016 dans une université du Vermont, un Etat traditionnellement démocrate, et qui a parfaitement ressenti le malaise ambiant. Sur le campus, Hillary Clinton était plébiscitée par les élites universitaires et les étudiants, mais 800 mètres plus loin, 60 à 65% des personnes interrogées, soutenaient Trump. Il y a bel et bien un clivage social et culturel, un vote rejet du système et de Washington, note-t-il. C’était un peu, « tout, sauf Hillary Clinton ».

DE NOUVELLES RÈGLES DU JEU

En France, la campagne se déroule sous l’état d’urgence, une nouveauté, dans un contexte de très fortes tensions internationales et de scepticisme vis à vis de l’Union Européenne. Mais, comme partout ailleurs, ce sont les enjeux nationaux qui constituent les priorités. Avec, en tête, la lutte contre le terrorisme, le chômage, l’immigration, l’avenir de la protection sociale. Viennent ensuite les inégalités, la relance de l’activité économique, la pollution et, tout à la fin, la dimension internationale. Il est vrai que ces questions ont toujours fait l’objet d’un consensus assez large. Elles ne sont pas clivantes et donc non mobilisatrices. Elles sont aussi très éloignées des préoccupations quotidiennes, reconnait Pascal Perrineau qui explique que trois grandes enquêtes ont été mises en place pour mieux comprendre les attentes des Français.

Tout d’abord, le baromètre de confiance politique, qui mesure et cerne la confiance vis à vis des institutions économiques, politiques, sociales et administratives. Sur le plan politique, le paysage est sinistré. Les institutions politiques locales sont les seules qui surnagent. En revanche, il y a un rejet majeur vis à vis des institutions supra nationales comme l’Union Européenne, les G20, l’OMC, ou encore la Banque mondiale. Les maires et leur conseil municipal sont encore très appréciés. il ne faut surtout pas s’attaquer à ce tissu de proximité, et développer avec la plus grande prudence, les communautés de communes, avertit Pascal Perrineau.

Le second baromètre étudie les fractures françaises, économiques, sociales et culturelles, qui se tendent de plus en plus et le troisième est une enquête électorale. A partir d’un échantillon représentatif de 25 000 électeurs, suivis pendant un an, on remarque que, malgré la grande défiance politique, l’intérêt reste très fort pour les débats publics, qui attirent 81% des personnes sondées. Surtout à droite (61%) et pour les sympathisants du Mouvement « En Marche » d’Emmanuel Macron. Les personnes âgées, les catholiques pratiquants mais aussi les primo votants sont parmi les plus mobilisés.

A l’échelle européenne, partout l’euroscepticisme et l’europhobie grimpent en flèche. Alors que dans les années 70-80, la France avait une attitude très positive vis à vis de l’Europe, elle fait maintenant partie des pays qui en ont la plus mauvaise perception. Seulement 22% d’opinions favorables, en fin de peloton avec l’Autriche, Chypre et l’Espagne. Ceux qui continuent à aimer l’Europe sont les seniors (65 ans et plus), les professions intellectuelles et les cadres, les diplômés, les centristes et les catholiques pratiquants. En revanche, les ouvriers, les sympathisants du FN et de « Debout la République » de Nicolas Dupont-Aignan la rejettent. Pour Mélenchon, comme pour les salariés du public, elle n’est ni bonne, ni mauvaise. Ce clivage, observe Pascal Perrineau, n’est pas éloigné de celui qui divise les Français sur la mondialisation.

Parallèlement, la demande de protection ne cesse de croître, passant de 30% en 2009 à 43% actuellement. Elle émane surtout de ceux qui craignent le chômage, les ouvriers (60%), et les employés. Et parmi eux, 80% votent Front National. Pour ce qui est d’une plus grande ouverture, seuls 24% la souhaitent et encore ici, on retrouve les seniors, les chefs d’entreprise les proches de l’UDI et d’Emmanuel Macron. Ceci met à mal les luttes traditionnelles entre la droite et la gauche, les grands appareils des partis. La rupture est de plus en plus verticale, entre les partisans d’un retour au protectionnisme et les autres. Lors des derniers scrutins, le Front National, qui représente la force politique majeure chez les jeunes, est arrivé à la première place et il peut encore améliorer son score, jusqu’à 25% et même au delà. D’où le malaise au sein des grands partis, comme Les Républicains et le PS. L’ordre électoral se retrouve bouleversé, avec, à chaque bout de l’échiquier, Le Pen et Mélenchon, qui partagent des préoccupations communes. On assiste à une recomposition du paysage politique, avec un axe organisé autour de Le Pen et Macron et ensuite un « feuilleté gauche-droite ». Il n’y a plus de grille de lecture, les repères changent.

L’ATTRAIT DU POPULISME

Le populisme fait également un retour en force, souligne Pascal Perrineau, mais il est très différent selon les pays. Il s’appuie sur trois ressorts. Le premier est économique et social. Dans les démocraties, la gauche et la droite s’enracinaient dans des blocs sociaux. Ceci s’accompagnait aussi parfois d’une bipolarisation territoriale, comme avec le Nord et le Sud de l’Angleterre. Or, ce système s’effondre de toutes parts. Avec la modernisation de nos sociétés, on assiste à une redistribution sociologique des cartes. Jusqu’à la fin des années 80, les ouvriers et les employés votaient à gauche. Or, peu à peu, ils ont exploré d’autres voies pour exprimer leur malaise et leur désarroi. D’abord, l’abstentionnisme, puis, ils se sont tournés vers l’extrême droite. L’Aisne et le Pas de Calais sont désormais des bastions du Front National. il y a un phénomène de dissidence électorale chez les couches populaires, qui est indéniable. Et c’est la même logique que l’on retrouve dans toute l’Europe.

Second élément, le clivage entre un désir de société ouverte et une volonté de recentrage national. Dans un univers de plus en plus cosmopolite, la coupure s’accentue entre les gens « d’en haut » qui pensent qu’ils ont beaucoup à gagner avec la fin des frontières et le développement de programmes comme Erasmus. Et les couches populaires, qui se sentent dépossédés, privés de leur appartenance sociale et culturelle. Les forces nationalistes et populistes exploitent ces différences avec beaucoup de talent.

Enfin, il y a la défiance qui tourne même à la haine des politiques et qui aboutit à une politisation négative. L’Américain Albert O Hirschmann a théorisé autour des concepts « exit, voice and loyalty » les crises de confiance au sein d’une communauté. Il y a , selon lui, deux moyens dont dispose le public pour exprimer son mécontentement. La défection (exit) et la prise de parole (voice) et les deux outils mélangés peuvent se révéler très efficaces. C’est ce qui arrive avec les Populistes comme Trump, admet Pascal Perrineau. On reste mais on prend la parole. Sur le terrain économique et social, une grande partie de sa force vient de ce discours. Il a réussi à politiser le rejet de la politique et c’est là une des clés de son succès.

S’il y a une certaine « droitisation » de nos sociétés, celle-ci est plus complexe qu’elle n’y paraît, précise Pascal Perrineau. Il y a en fait un double mouvement. D’une part, une aspiration à plus de libertés privées. Les divergences sur les mœurs, comme avec le Mariage pour Tous, ne sont pas des querelles insurmontables. Et d’autre part, une demande d’ordre public. un besoin d’une régulation publique et politique forte pour vivre ensemble. Et l’on retrouve souvent, chez le même individu, à la fois une demande de liberté privée et d’ordre public, conclut-il.

L’intervention de Pascal Perrineau a été suivie d’un débat, animé par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000, riche en échanges.

Jean-Louis Pierrel (Relations Universitaires - IBM France- Secrétaire Général Adjoint Géostratégies 2000) : Si nous entrons dans l’ère de la « dés election », mesurez vous le niveau de répulsion des différents favoris, notamment Marine Le Pen, mais aussi François Fillon et Manuel Valls?

Le vote rejet est à l’œuvre. Sarkozy a été éliminé par les siens lors de la primaire. le peuple de droite et du centre a fait le ménage. Par ailleurs, l’échec de Juppé a un lien avec le rejet de l’ère Chirac. Il règne un malaise autour de la fonction présidentielle. Le livre des journalistes du Monde sur le quinquennat de François Hollande l’a encore renforcé. La Présidence normale s’avère être un échec criant. Depuis Sarkozy, voire même Chirac, on assiste à un « aplatissement » de la fonction présidentielle, on quitte la verticalité. La société a changé, elle est plus horizontale, mais il faut retrouver la verticalité présidentielle.

Par ailleurs, si le populisme séduit, il fait aussi encore peur. Au second tour, Marine Le Pen ne ferait que 33% face à François Fillon. Ce pourcentage ne bouge pas depuis un certain nombre d’années, l’heure n’est pas encore venue.

Philippe Abelin (Ministère de l’Economie et des Finances(ER)) : Le « politiquement correct » peut-il influer sur le niveau de défiance politique?

Ce phénomène est resté longtemps marginal,  maintenant, les électeurs rejettent les leçons de morale. Il y a une volée de bois vert contre les discours qui viennent d’en haut. Cela nourrit un sentiment anti élites redoutable.

Luc Debieuvre (Partner Reach Capital) : « L’islamisation des périphéries » est-elle un cas isolé ou une évolution aux proportions significatives?

Avec les attentats, les attitudes interrogatives ou négatives envers les musulmans ont augmenté.

La moitié des Français se demandent si les musulmans ont la capacité à s’intégrer dans les valeurs de la République.

En fait, les Français musulmans représentent l’électorat le plus à gauche qui soit, et aussi le plus abstentionniste. Ceci peut expliquer pourquoi certains élus socialistes restent très prudents quand ils abordent ces thématiques.

Christian Fournier (IIM Ltd, Director (ER) : Est-ce vraiment la bonne méthode que d’insister si lourdement sur la laïcité? Les musulmans ne se sentent-ils pas agressés dans leur foi?

L’accent mis sur la laïcité est une des raisons du succès de Marine Le Pen. Elle a réussi son OPA sur les valeurs de la République, au Congrès de Tours, en gagnant contre les idées de Bruno Gollnish. Sur le plan électoral, c’est une stratégie gagnante mais les militants de longue date n’ont pas apprécié cette nouvelle orientation.

La laïcité est aussi un moyen de combat anti religieux. On observe un transfert des antis catholiques vers les antis musulmans.

François-Xavier Martin (Président d’honneur de Crédit X Mines. Secrétaire Général et Trésorier de Géostratégies 2000) : Comment expliquer les scores de Marine Le Pen dans des territoires où l’immigration est extrêmement faible?

Elle a acquis une image respectable que son père n’avait pas. Elle peut donc s’attaquer à des milieux socioculturels jusque là rétifs, comme celui de la fonction publique. Il y a une réelle pénétration.

Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Pourquoi la dette et son remboursement ne sont-ils pas au cœur de la campagne?

L’enjeu a progressé dans l’électorat de la droite et du centre depuis 2012. Bayrou l’avait mis au coeur de sa campagne. Il y a un écho qui reste.

A gauche,, ce n’est pas une priorité et c’est très troublant.

Claude Roux (Directeur de groupe de la Société Générale)

Francis Babé (Sciences po. IHEDN) : Donnez-vous une chance à la tentative d’Emmanuel Macron?

C’est un « OPNI », objet politique non identifié…

Au départ, ce fut une bulle médiatique. Il y avait une fascination journalistique pour Macron. Parce qu’il ressemble à ce milieu. Il est en harmonie avec les média sur un plan culturel. Cela l’a beaucoup aidé pour se lancer mais il a aussi du talent.

Plus vous êtes heureux, riche, doté culturellement et intellectuellement, plus vous votez Macron. Il est le candidat de la mondialisation heureuse. Reste à savoir s’il peut séduire au delà de ce socle. Les centristes et les socialistes sont orphelins. Il pourrait récupérer la majorité de l’électorat de Bayrou de 2012. Dans la « Hollandie », certains élus pensent à se rallier à Macron. Mais cela pourrait le desservir ….

Alain Ferrandi (Directeur Financier - Cloud Service Group) : Est-ce que l’influence supposée de la Russie sur la politique intérieure française a un écho dans l’opinion?

La politique extérieure de Poutine, comme l’annexion de la Crimée, les tensions en Ukraine, le soutien à la Syrie de Bachar al Assad, est à des années lumière des préoccupations des Français.

Ce n’est pas tant sa stratégie qui impressionne, mais son personnage. Il est le symbole de l’homme fort,  il obtient ce qu’il veut. Le FN s’en inspire beaucoup dans ses discours.

Marie Clotilde Hingray Propos non revus par les intervenants.