« Les enjeux de l’environnement à l’heure de la COP 21 »

LaurentTAPADINHAS (G2K-JLP) A la veille de la clôture de la COP 21, Géostratégies 2000 a reçu le 10 décembre 2015, dans les salons du Palais du Luxembourg, autour d’un petit déjeuner, Laurent Tapadinhas, directeur, adjoint à la Commissaire Générale au Développement Durable. Cet Ingénieur Général des Ponts, des Eaux et Forêts a fait le point sur la stratégie et les ambitions de la France en matière de développement durable. il a également salué la nouvelle dynamique mondiale en faveur de l’environnement, très palpable tout au long des négociations entre les représentants des 195 pays présents au Bourget.

Le concept de développement durable, qui fut au cœur des débats de la COP 21, a été évoqué pour la première fois dans le rapport Brundtland, en 1987, dans une publication des Nations Unies, rappelle, en guise d’introduction, Laurent Tapadinhas. On peut le définir comme « un développement qui répond au besoin du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Il a servi de base au Sommet de la Terre, qui s’est déroulé à Rio en 1992, et où se sont réunis 173 chefs d’Etat. Cette conférence est particulièrement importante, car elle va permettre à la communauté internationale de prendre conscience des grands enjeux environnementaux. Il s’agit, en fait, de réconcilier trois domaines. L’économique (politique énergétique, industrielle, agricole, production raisonnée, transport) ; le social (santé, travail décent, lutte contre la pauvreté) et l’environnemental (pollution, gaz à effets de serre, dérèglements climatiques, menaces sur les ressources naturelles…). Or, les opinions divergent lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre idéal. Certains acteurs soutiennent que l’environnement prime sur la société, et que l’économie elle-même est incluse dans la société. Toutefois, on ne peut nier la réalité : l’économie a désormais pris le pas sur les autres secteurs. Un autre enjeu, et non des moindres, est celui de la gouvernance, souligne Laurent Tapadinhas. Pendant longtemps, les rapports de force entre pays riches et pauvres ont dominé ces grands « messes » internationales. Il était très difficile, voire impossible d’imposer des limitations, et encore plus de contrôler si les mesures avaient été appliquées. Mais, de plus en plus, aux côtés des acteurs gouvernementaux, la société civile fait entendre sa voix, la démocratie participative joue pleinement son rôle dans ce domaine.

UN SURSAUT INDISPENSABLE

Après Rio et Kyoto, en 1997, Paris est donc l’hôte de la 21ème conférence des parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Un rendez-vous crucial, car il s’agit de redéfinir de nouveaux objectifs en matière de plafonnement des gaz à effet de serre. Des signes encourageants également, puisque tous les participants se sont engagés à contenir la réchauffement mondial au dessous de 2°, voire de 1,5°, d’ici 2050. A son échelle, la France a atteint d’excellents résultats, puisque les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 13% entre 1990 et 2013. De nouvelles pratiques et filières apparaissent, se réjouit Laurent Tapadinhas. Entre 2004 et 2012, les éco-activités ont vu leurs offres d’emploi augmenter de 36% (soit 1,8% de l’emploi intérieur total) . Une dynamique de mutation urbaine se met en place, avec le développement d’éco-quartiers. Un Comité national de transition écologique existe désormais, mais tout ceci doit s ‘accélérer. Certes, depuis 10 ans, on observe un recyclage des déchets en hausse de 60%; dix fois moins de sacs plastiques en circulation que dans les années 2000, et des espèces menacées comme la loutre, le castor ou le loup, qui ont vu leur situation s’améliorer. Mais, la pollution accentue sa pression avec la mondialisation, l’urbanisation et la consommation de masse. Les oiseaux ont diminué de 35%, la moitié des zones humides s’est dégradée depuis 2000 et les déchets ont bondi de 25% depuis 1996 (600 kilos par habitant et par an). De plus, si le niveau moyen des gaz à effet de serre a baissé en France (environ 8 millions de tonnes par an), cela ne reflète pas l ‘évolution de l’empreinte carbone du Français, qui se situe aux alentours de 12 millions de tonnes, et qui, elle, prend en compte les émissions liées aux importations, donc les produits fabriqués à l’étranger, mais vendus et consommés en France. Le changement climatique a des répercussions multiples, mais touche particulièrement l’agriculture, avec les sécheresses, les feux de forêt, les inondations à répétition. Plus spécifiquement, en France, les dates des vendanges commencent à changer et de nouveaux parasites apparaissent. A l’échelle du monde, les risques pour la santé humaine sont encore sous estimés. Mais, ils pourraient saper tous les gains en termes de santé publique depuis cinquante ans La France affiche clairement une stratégie de développement durable, note Laurent Tapadinhas. Les bases d’une transition écologique sont lancées, basées sur les innovations technologiques et sociales. Elle s’articule autour de trois axes. Sobriété dans l’utilisation des ressources, développement de politiques territoriales (et non plus sectorielles) et transition énergétique vers une croissance verte (Loi Royal de l’été 2015). Concrètement, on peut citer le projet « zéro déchets ». Un enjeu d’importance quand on sait qu’il y a 17 milliards de sacs plastiques utilisés en France et 8 milliards abandonnés dans la nature. Egalement, à Strasbourg, une station d’épuration qui recycle les déchets et fabrique du bio méthane pour alimenter le chauffage urbain. Sur le plan financier, de nouveaux fonds d’investissement « verts » se créent, le financement participatif dans les énergies renouvelables (éoliennes, solaire) connait un succès croissant. Les mutations professionnelles sont en cours, de nouvelles compétences sont requises, de nouvelles filières d’enseignement sont proposées. Chacun doit s’approprier la transition écologique, au travers de projets comme celui intitulé « Familles et Energies Positives », note Laurent Tapadinhas, qui insiste beaucoup sur le mot « transition », car il s’agit d’une politique de long terme, qui se construit étape par étape. La mobilisation de tous les acteurs est aussi vitale Lors de cette COP 21, de très nombreuses associations et ONG font entendre leur voix. Au niveau national, des actions concrètes ont été présentées par l’ADEM, par la Fédération des bovidés, qui a expliqué, entre autres, comment produire du « boeuf bas carbone. Toutes ces initiatives rendent optimistes, mais il faut absolument continuer et amplifier le mouvement, conclut Laurent Tapadinhas.

L’intervention de M. Tapadinhas a été suivie d’un débat, animé par Raymond Douyère, Président de Géostratégies 2000.

Georges Grosz (Consultant. Associé Corporate Développement International) : Comment faire passer la notion de développement durable auprès de la population? Quelles actions mener? Est-ce évoqué à l’école?

Il y a maintenant beaucoup d’outils en ligne pour sensibiliser le citoyen. Sur le site de l’ADEM, par exemple, on explique comment calculer sa propre production de CO2. Dans les écoles urbaines, de plus en plus, on initie les enfants à cultiver des jardins potagers. Cela les aide à mieux comprendre le rapport à la nature Dans cet optique, on enseigne aussi de nouveaux savoir faire dans le bâtiment. L’écologie ne doit pas apparaître comme punitive. Il faut associer et impliquer le plus grand nombre possible de personnes dans la mise en oeuvre de projets.

Jean-Pierre DUPORT (Ancien Préfet d’Ile de France) : Pourquoi ne pouvons nous pas aborder sereinement des questions clés comme l’approvisionnement en eau du Tarn? Comment a-t-on pu en arriver à ces manifestations contre le barrage de Sivens et à la mort d’un homme ?

En France, nous avons une société civile très réactive et une incapacité à poser les termes du débat, de façon démocratique. Les associations environnementales sont très structurées, mais nous améliorons nos outils en terme de concertation publique. Il y a de plus en plus de débats, à tous les niveaux. Pour éviter les affrontements, il faut commencer la discussion le plus en amont possible. Chacun en a maintenant conscience.

Raymond Douyère (Président de Géostratégies 2000) : Au sein de l’administration, il y a une volonté d’imposer sa propre vision, souvent sans vouloir expérimenter d’autres solutions proposées. Qu’en pensez-vous?

L’administration d’Etat est de moins en moins porteuse de projets. De plus en plus, les collectivités locales prennent le relais, et comme je le disais précédemment, le travail se fait de plus en plus en amont. Le projet « Aéroport CDG Express » a été transformé après débat public. la première mouture pour relier la Gare de l’Est à Roissy était très coûteuse et lourde pour l’environnement, avec notamment l’obligation de construire des tunnels dans les zones traversées. Le projet final a été nettement amélioré et a gommé les incohérences.

Michel Cantal-Dupart (Architecte) : Pourquoi ne pas favoriser les missions et vocations scientifiques pour trouver et améliorer les façons de mieux traiter notre planète? Pierre Lepetit (Consultant) : Quel rapport entre l’environnement et les entreprises? Doit-on parler de contraintes ou de développement?

Notre Direction de la Recherche est très active dans ce domaine.

Beaucoup d’entreprises se mobilisent autour du concept d’ »environnement industriel » Malheureusement, les pays qui aspirent au développement économique, rejettent encore l’idée de conservation, préservation. Or, la nature est là, elle apporte des services que l’on essaie de plus en plus de quantifier, de valoriser. Cela est particulièrement vrai pour les forêts. On développe aussi une agriculture biologique qui respecte les cycles. Certaines terres sont ainsi gardées sans cultures, ce qui limite les écoulements et évite les catastrophes naturelles.

Richard Hallows (Directeur commercial - Groupe Cerestar) : Est-il vrai que la plantation massive d’arbres peut contribuer à l’absorption des gaz à effet de serre? Si oui, y a t-il en France une politique de ce type?

Oui, il y a maintenant des plantations massives d’arbres, là où les forêts ont été le plus décimées, au Kenya, en Haïti, au Brésil…. C’est un enjeu mondial. Cependant, en France, nous ne sommes pas concernés directement par ce problème.

François-Xavier Martin (Président d’Honneur de Crédit X Mines, Secrétaire Général et Trésorier de Géostratégies 2000) : Certains pensent que la réalisation des objectifs environnementaux (plus 1,5 ou 2°) impose de ne pas extraire tout le pétrole existant dans le sous sol de la terre ? Qu’en pensez-vous?

Bien sûr, une grande partie de ces ressources doivent rester dans le sous sol pour atteindre ces objectifs. Il faut savoir se limiter pour pouvoir maîtriser les conséquences.

Jean-Claude Richard (Ancien Ambassadeur de France en Asie Centrale) : Pourquoi toujours se poser en coupable et ne pas rappeler que la France est un très bon élève sur le plan environnemental, qui émet deux fois moins de CO2, par habitant, que l’Allemagne et trois fois moins que les USA et le Canada?

La France ne culpabilise absolument pas. Elle revendique le sentiment d’être exemplaire. La Loi Royal de transition énergétique vers une croissance verte en est le meilleur exemple. Elle a également très bien joué son rôle d’organisateur de la COP 21 et œuvre activement en ce moment à son succès. Elle soutient des initiatives intéressantes comme la présentation, par tous les pays, de leurs contributions nationales dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elle appelle aussi de ses vœux la création d’un fonds vert de 100 milliards de dollars en faveur des pays les plus pauvres et vulnérables pour leur permettre de s’adapter aux changements climatiques.

Jacques Taranger (Inspecteur du Personnel Civil de la Défense) : Que pensez vous de l’utilisation de satellites spécialisés qui ont l’avantage de « surveiller » la planète entière avec des mesures précises dans la durée?

Le France s’engage résolument dans cette voie. Le CNES porte le projet « MicroCarb », un micro satellite qui va cartographier à l’échelle planétaire les sources et les puits de CO2. Il va mesurer les flux de CO2 mais aussi de méthane (deuxième gaz à effet de serre). Le lancement est prévu en 2020 et la France finance au départ à hauteur de 25 millions d’euros (sur un total de 175 millions).

Marie-Clotilde HINGRAY Propos non revus par intervenants